Rapport Hillmeyer :
_______________
Ayant été abondamment cité...
Remarques sur le rapport Hillmeyer
J’ai découvert à la lecture du rapport Hillmeyer (Mission parlementaire sur le transport de marchandises), que celui-ci m’avait fait l’honneur de me citer abondamment, au point de me mettre en tête du hit parade avec plus de 20 citations. Sans doute dois-je cet honneur au fait d’avoir, depuis longtemps, travaillé sur les questions sur lesquelles on m’interrogeait. Pour autant, la méthode retenue, consistant à extraire des phrases d’un propos– parfois infidèlement - pour les juxtaposer à d’autres citations ne permet guère de retrouver le raisonnement, et a fortiori la thèse des auteurs.
Des exemples nombreux pourraient être donnés, allant de la reproduction tronquée de mes propos sur l’Allemagne, à ceux relatifs au nanisme des transporteurs de lots, en passant par mes développements sur l’Espagne ou l’Italie. La méthode peut même créer l’illusion de points de vue contradictoires ou convergents avec d’autres auteurs alors qu’il n’en est rien. Ce qui n’empêche guère de faire cohabiter au sein du rapport des données factuelles avérées et des estimations erronées sans permettre au lecteur de faire le tri.
Restent les questions de fond et les propositions.
- L’une de celles qui fera couler le plus d’encre concerne évidemment la proposition tendant à imposer qu’un « commissionnaire du transport (effectue) à l’avenir (…) 50 % de ses opérations non comme intermédiaire, mais avec sa flotte propre ». Outre que l’on revient ici à des idées que l’on croyait mortes depuis plus de 20 ans, celles-ci résultent à l’évidence d’une méconnaissance du métier de commissionnaire, de spediteur ou de freight forwarder à travers le monde. Le commissionnaire n’est pas ce parasite prélevant sa dîme, mais un vrai professionnel organisant pour le compte d’un client un service de transport. Ce faisant il le fait non en courtier mais en prestataire de service, et il le fait en ayant – le plus souvent – le choix des moyens de transport. Outre la tâche d’affrètement classique, il procède souvent à l’organisation de chaînes de transport complexes internationales ou multimodales. Ce métier permet en outre de massifier les transports, ce qui est bon pour tout le monde. Quel sens pourrait avoir la proposition du rapport : demander à Kuhne & Nagel de posséder en propre des navires porte-conteneurs, des barges et des pousseurs fluviaux, des camions, des avions et des trains pour acheminer entre 1 et 1,5 million de conteneurs (EVP) par an ? Cela n’a guère de sens ! Et on évacue ce faisant un peut vite la question générale des conditions de travail et de rémunération des métiers de la route.
- Une autre n’en fera guère couler. Il s’agit de la proposition de renforcer le contrôle et les limitations à porter au cabotage. Hélas, considérer comme évident que « Le cabotage contribue de façon inéluctable à l’écrasement des prix du TRM puisque le caboteur travaille moins cher, par définition, que le transporteur du pays où il cabote», est bien évidemment une présentation tendancieuse d’un phénomène connu. Le « véhicule qui passe », en particulier s’il est vide et possède une opportunité de chargement (très) lucrative à destination, est dans une position de force pour écrémer le marché. Ce véhicule qui passe peut être breton en Auvergne, francilien en Franche-Comté, ou luxembourgeois en Lorraine, c’est le même processus. Peu importe.
En fait, - et c’est ce que j’ai exprimé au député Hillmeyer en proposant de supprimer toute disposition sur le cabotage – sa définition juridique ne fait que stigmatiser des pratiques cohérentes et économiques pour l’ensemble de la société : les transporteurs ont intérêt à remplir leurs camions et limiter leurs parcours à vide.
Par contre le fait pour un Polonais de venir « camper en France », c’est-à-dire y caboter durablement relève d’une autre pratique. Celle, hypothétique et minoritaire, d’une délocalisation des contrats de travail. Y voir là l’effet du laxisme des définitions du cabotage est à mon sens une façon erronée de refuser cette « exportation de service » alors qu’on accepte comme gage du marché unique celle des produits. La réalité c’est qu’il y a là une pratique qui pourrait tomber sous le coup de la convention de Rome de 1980 qui prescrit que “ le contrat de travail est régi par la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail, même s'il est détaché à titre temporaire dans un autre pays”. Le problème n’est pas dans le terme “temporaire” du cabotage mais bien dans celui du travail. C’est aussi une façon de travestir en concurrence déloyale ou illégale ce qui n’est que le résultat de distorsions sociales ou de pouvoir d’achat qui touchent toutes les activités. Là encore, c’est refuser un risque mineur pour les transports alors qu’on accepte de consommer des produits bénéficiant de distorsions bien pires. C’est aussi regarder avec insistance vers l’est, et stigmatiser les nouveaux entrants – quand – dans le même temps, existent à nos frontières du sud des centaines de milliers de caboteurs potentiels bon marché qui n’ont guère voulu ou pu – alors qu’ils peuvent le faire librement depuis 1998 – franchir le pas. C’est enfin oublier qu’une distorsion première existe chez nous comme presque partout ailleurs dans le transport routier entre le travail salarié et le travail indépendant. Et cette distorsion, elle, ne se fonde sur aucune nationalité !
Patrice Salini
_______________
Ayant été abondamment cité...
Remarques sur le rapport Hillmeyer
J’ai découvert à la lecture du rapport Hillmeyer (Mission parlementaire sur le transport de marchandises), que celui-ci m’avait fait l’honneur de me citer abondamment, au point de me mettre en tête du hit parade avec plus de 20 citations. Sans doute dois-je cet honneur au fait d’avoir, depuis longtemps, travaillé sur les questions sur lesquelles on m’interrogeait. Pour autant, la méthode retenue, consistant à extraire des phrases d’un propos– parfois infidèlement - pour les juxtaposer à d’autres citations ne permet guère de retrouver le raisonnement, et a fortiori la thèse des auteurs.
Des exemples nombreux pourraient être donnés, allant de la reproduction tronquée de mes propos sur l’Allemagne, à ceux relatifs au nanisme des transporteurs de lots, en passant par mes développements sur l’Espagne ou l’Italie. La méthode peut même créer l’illusion de points de vue contradictoires ou convergents avec d’autres auteurs alors qu’il n’en est rien. Ce qui n’empêche guère de faire cohabiter au sein du rapport des données factuelles avérées et des estimations erronées sans permettre au lecteur de faire le tri.
Restent les questions de fond et les propositions.
- L’une de celles qui fera couler le plus d’encre concerne évidemment la proposition tendant à imposer qu’un « commissionnaire du transport (effectue) à l’avenir (…) 50 % de ses opérations non comme intermédiaire, mais avec sa flotte propre ». Outre que l’on revient ici à des idées que l’on croyait mortes depuis plus de 20 ans, celles-ci résultent à l’évidence d’une méconnaissance du métier de commissionnaire, de spediteur ou de freight forwarder à travers le monde. Le commissionnaire n’est pas ce parasite prélevant sa dîme, mais un vrai professionnel organisant pour le compte d’un client un service de transport. Ce faisant il le fait non en courtier mais en prestataire de service, et il le fait en ayant – le plus souvent – le choix des moyens de transport. Outre la tâche d’affrètement classique, il procède souvent à l’organisation de chaînes de transport complexes internationales ou multimodales. Ce métier permet en outre de massifier les transports, ce qui est bon pour tout le monde. Quel sens pourrait avoir la proposition du rapport : demander à Kuhne & Nagel de posséder en propre des navires porte-conteneurs, des barges et des pousseurs fluviaux, des camions, des avions et des trains pour acheminer entre 1 et 1,5 million de conteneurs (EVP) par an ? Cela n’a guère de sens ! Et on évacue ce faisant un peut vite la question générale des conditions de travail et de rémunération des métiers de la route.
- Une autre n’en fera guère couler. Il s’agit de la proposition de renforcer le contrôle et les limitations à porter au cabotage. Hélas, considérer comme évident que « Le cabotage contribue de façon inéluctable à l’écrasement des prix du TRM puisque le caboteur travaille moins cher, par définition, que le transporteur du pays où il cabote», est bien évidemment une présentation tendancieuse d’un phénomène connu. Le « véhicule qui passe », en particulier s’il est vide et possède une opportunité de chargement (très) lucrative à destination, est dans une position de force pour écrémer le marché. Ce véhicule qui passe peut être breton en Auvergne, francilien en Franche-Comté, ou luxembourgeois en Lorraine, c’est le même processus. Peu importe.
En fait, - et c’est ce que j’ai exprimé au député Hillmeyer en proposant de supprimer toute disposition sur le cabotage – sa définition juridique ne fait que stigmatiser des pratiques cohérentes et économiques pour l’ensemble de la société : les transporteurs ont intérêt à remplir leurs camions et limiter leurs parcours à vide.
Par contre le fait pour un Polonais de venir « camper en France », c’est-à-dire y caboter durablement relève d’une autre pratique. Celle, hypothétique et minoritaire, d’une délocalisation des contrats de travail. Y voir là l’effet du laxisme des définitions du cabotage est à mon sens une façon erronée de refuser cette « exportation de service » alors qu’on accepte comme gage du marché unique celle des produits. La réalité c’est qu’il y a là une pratique qui pourrait tomber sous le coup de la convention de Rome de 1980 qui prescrit que “ le contrat de travail est régi par la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail, même s'il est détaché à titre temporaire dans un autre pays”. Le problème n’est pas dans le terme “temporaire” du cabotage mais bien dans celui du travail. C’est aussi une façon de travestir en concurrence déloyale ou illégale ce qui n’est que le résultat de distorsions sociales ou de pouvoir d’achat qui touchent toutes les activités. Là encore, c’est refuser un risque mineur pour les transports alors qu’on accepte de consommer des produits bénéficiant de distorsions bien pires. C’est aussi regarder avec insistance vers l’est, et stigmatiser les nouveaux entrants – quand – dans le même temps, existent à nos frontières du sud des centaines de milliers de caboteurs potentiels bon marché qui n’ont guère voulu ou pu – alors qu’ils peuvent le faire librement depuis 1998 – franchir le pas. C’est enfin oublier qu’une distorsion première existe chez nous comme presque partout ailleurs dans le transport routier entre le travail salarié et le travail indépendant. Et cette distorsion, elle, ne se fonde sur aucune nationalité !
Patrice Salini