Les valeurs comptables des réseaux ferroviaires européens... difficilement comparables et sans doute sous-évaluées
http://lecercle.lesechos.fr/entrepreneur/compta-finances/221145361/valeurs-comptables-reseaux-ferroviaires-europeens-difficileme
Les valeurs comptables des réseaux ferroviaires européens... difficilement comparables et sans doute sous-évaluées
Par Patrice Salini
le Cercle les Echos.
Je viens de réaliser une petite analyse dont il ressort que la valeur comptable des réseaux ferroviaires est, en Europe, établie sur des bases fort hétérogènes, et, que cette valeur est, de mon point de vue souvent très inférieure à la valeur réelle des réseaux. Au surplus, ces différences rendent les choses difficiles à comparer et à analyser. Par exemple, Networkrail (Royaume-Uni) est une société privée – mais à buts non lucratifs – où des "membres" décident à la place d’actionnaires qui n’existent pas.
Rff est propriétaire, RFI (Italie) est concessionnaire, et raisonne donc sur la durée de la concession, soit près d’un siècle. Infrabel est à la fois gestionnaire du réseau de l’État belge, et pourvoit à l’extension du réseau, etc. Plusieurs firmes appliquent les IFRS et calculent une valeur d’utilité – en fonction de cash-flows futurs - aux fins de faire un test de dépréciation. C’est le cas par exemple - outre RFF - de DB Netz (Allemagne), de Networkrail, et partiellement d’Infrabel (Belgique).
Notons que la RATP ne l’a pas fait en 2010 en l’attente du Décret n° 2011-320 du 23 mars 2011. RFI de son côté se fonde sur la valeur d’acquisition ou de construction y compris les frais accessoires et les coûts imputables liés au financement de l'infrastructure ferroviaire, mais amortit en fonction des niveaux de production pour la durée de la concession. Adif (Espagne) semble pratiquer de même. Cette disparité peut se doubler d’une conception différente de l’actualisation des flux de trésorerie : 6% pour RFF, 4,75% pour Networkrail, 8% pour DB Netz.
Par ailleurs, les modes d’amortissement diffèrent d’un réseau à l’autre. Tant sur les durées que sur les méthodes elles-mêmes. Tout cela est problématique. Mais au global, j’ai le sentiment que les réseaux ont des valeurs comptables plutôt faibles. Ainsi, la valeur nette des actifs corporels de DB Netz (D) est estimée à moins de 22 milliards d'euros contre 42 pour RFF (F), 58 pour RFI (I), 32 pour l’Adif (E), et 47 pour Railtrack (UK). Pour ceux qui n’ont pas les ordres de grandeur en tête, cela fait un réseau ayant une valeur apparente "au km" 4,5 fois plus grande au Royaume-Uni qu’en Allemagne.
Cette situation m’inquiète plutôt. Rappelons au passage qu’aux USA le STB (Surface Transportation Board) édicte des règles précises dans le cadre du Code des États-Unis (titre 49). En Europe, par delà les IFRS et la normalisation des comptes, la comparabilité des comptes des gestionnaires d’infrastructures ne me semble pas, hélas, assurée.
Comment apprécier la situation pour RFF ?
Pour RFF, le gestionnaire français d’infrastructures, la valeur comptable me semble actuellement bien en dessous de ce qu’elle devrait être. En mettant de côté la question de la valeur du foncier – dépendant du niveau de rente foncière locale – un réseau ferroviaire serait ainsi une immobilisation corporelle onéreuse – sans doute en moyenne entre 10 et 15 millions €/km pour les lignes à grande vitesse tout en pouvant atteindre plus de 50 à 100 millions €, 3 millions €/km pour des voies plus banales, 1 à 2 pour une voie portuaire.
De tels ordres de grandeur conduiraient à évaluer un réseau comme le réseau français – à sa valeur de reconstitution - à probablement plus de 100 milliards d'euros.
La seconde consiste à se référer aux comptes des compagnies ayant en charge les infrastructures, en France RFF. Les chiffres comptables nous donnent un montant de 42 milliards € en 2010, soit autour de 1,4 million € le km.
Cela ne me semble pas raisonnable – dans une logique de "juste valeur" - si l’on veut, pourvoir à un niveau d’amortissement et donc prévoir des ressources compatibles avec la survie de l’économie ferroviaire à moyen terme.
Comment cela est-il possible ?
La valeur comptable du réseau RFF ne correspond pas en effet à la valeur intuitive que l’on peut accorder à la reconstitution du réseau. Elle découle d’une estimation des infrastructures (normes IFRS) à leur "juste valeur" en comparant la somme actualisée des flux de trésorerie futurs générés dans l’avenir par l’utilisation des infrastructures et la valeur comptable nette inscrite au bilan, et fondée elle sur les valeurs d’acquisition et l’amortissement pratiqué.
Le réseau "SNCF" a été valorisé en 1997 à 22,5 milliards €. RFF a déprécié son actif en 2005 de 9 milliards €, et opéré une reprise d’amortissements de plus de 10 milliards € en 2009 (la valeur actualisée des flux de trésorerie devenant supérieure à la valeur nette comptable… ) on se retrouve logiquement à des niveaux tournant autour de 40 milliards compte tenu du rythme d’investissement de RFF dans les années 2000. En se référant aux comptes de 2010, on relève un "coût des immobilisations ferroviaires estimé à un peu moins de 53 milliards € et la valeur nette comptable de l’ordre de 42 milliards €.
Cette approche est parfaitement discutable. En effet, rien n’impose de recourir à une actualisation de flux futurs d’Excédents bruts découlant au surplus de prix de monopole (le tarif des redevances d’usage et de réservation des sillons ferroviaires), dont tout le monde sait qu’ils sont inférieurs aux coûts. Il était possible en revanche de prendre en compte la valeur de renouvellement.
Quelles conséquences ?
RFF en donne une idée indirecte dans l’annexe 10.1 du "Document de référence du réseau" 2013. On y constate que, d’après RFF, le montant retenu en 2010 pour l’amortissement économique du réseau est de 1,9 milliard €, soit à peu près deux fois les amortissements comptables. Un écart à mon sens excessif. Si cette situation perdurait, sans hausse massive des prix, on ne manquerait pas de considérer que la dette de RFF n’est pas "soutenable".
Nota
Règlement (CE) No 1126/2008 De la commission du 3 novembre 2008 portant adoption de certaines normes comptables internationales : "En l'absence d'indications de marché sur la juste valeur d'une immobilisation corporelle en raison de sa nature spécifique et du fait qu'elle est rarement vendue, sauf dans le cadre d'un transfert de l'activité, une entité peut être amenée à estimer la juste valeur en utilisant l'approche par le résultat ou l'approche du coût de remplacement net d'amortissement."
Les valeurs comptables des réseaux ferroviaires européens... difficilement comparables et sans doute sous-évaluées
Par Patrice Salini
le Cercle les Echos.
Je viens de réaliser une petite analyse dont il ressort que la valeur comptable des réseaux ferroviaires est, en Europe, établie sur des bases fort hétérogènes, et, que cette valeur est, de mon point de vue souvent très inférieure à la valeur réelle des réseaux. Au surplus, ces différences rendent les choses difficiles à comparer et à analyser. Par exemple, Networkrail (Royaume-Uni) est une société privée – mais à buts non lucratifs – où des "membres" décident à la place d’actionnaires qui n’existent pas.
Rff est propriétaire, RFI (Italie) est concessionnaire, et raisonne donc sur la durée de la concession, soit près d’un siècle. Infrabel est à la fois gestionnaire du réseau de l’État belge, et pourvoit à l’extension du réseau, etc. Plusieurs firmes appliquent les IFRS et calculent une valeur d’utilité – en fonction de cash-flows futurs - aux fins de faire un test de dépréciation. C’est le cas par exemple - outre RFF - de DB Netz (Allemagne), de Networkrail, et partiellement d’Infrabel (Belgique).
Notons que la RATP ne l’a pas fait en 2010 en l’attente du Décret n° 2011-320 du 23 mars 2011. RFI de son côté se fonde sur la valeur d’acquisition ou de construction y compris les frais accessoires et les coûts imputables liés au financement de l'infrastructure ferroviaire, mais amortit en fonction des niveaux de production pour la durée de la concession. Adif (Espagne) semble pratiquer de même. Cette disparité peut se doubler d’une conception différente de l’actualisation des flux de trésorerie : 6% pour RFF, 4,75% pour Networkrail, 8% pour DB Netz.
Par ailleurs, les modes d’amortissement diffèrent d’un réseau à l’autre. Tant sur les durées que sur les méthodes elles-mêmes. Tout cela est problématique. Mais au global, j’ai le sentiment que les réseaux ont des valeurs comptables plutôt faibles. Ainsi, la valeur nette des actifs corporels de DB Netz (D) est estimée à moins de 22 milliards d'euros contre 42 pour RFF (F), 58 pour RFI (I), 32 pour l’Adif (E), et 47 pour Railtrack (UK). Pour ceux qui n’ont pas les ordres de grandeur en tête, cela fait un réseau ayant une valeur apparente "au km" 4,5 fois plus grande au Royaume-Uni qu’en Allemagne.
Cette situation m’inquiète plutôt. Rappelons au passage qu’aux USA le STB (Surface Transportation Board) édicte des règles précises dans le cadre du Code des États-Unis (titre 49). En Europe, par delà les IFRS et la normalisation des comptes, la comparabilité des comptes des gestionnaires d’infrastructures ne me semble pas, hélas, assurée.
Comment apprécier la situation pour RFF ?
Pour RFF, le gestionnaire français d’infrastructures, la valeur comptable me semble actuellement bien en dessous de ce qu’elle devrait être. En mettant de côté la question de la valeur du foncier – dépendant du niveau de rente foncière locale – un réseau ferroviaire serait ainsi une immobilisation corporelle onéreuse – sans doute en moyenne entre 10 et 15 millions €/km pour les lignes à grande vitesse tout en pouvant atteindre plus de 50 à 100 millions €, 3 millions €/km pour des voies plus banales, 1 à 2 pour une voie portuaire.
De tels ordres de grandeur conduiraient à évaluer un réseau comme le réseau français – à sa valeur de reconstitution - à probablement plus de 100 milliards d'euros.
La seconde consiste à se référer aux comptes des compagnies ayant en charge les infrastructures, en France RFF. Les chiffres comptables nous donnent un montant de 42 milliards € en 2010, soit autour de 1,4 million € le km.
Cela ne me semble pas raisonnable – dans une logique de "juste valeur" - si l’on veut, pourvoir à un niveau d’amortissement et donc prévoir des ressources compatibles avec la survie de l’économie ferroviaire à moyen terme.
Comment cela est-il possible ?
La valeur comptable du réseau RFF ne correspond pas en effet à la valeur intuitive que l’on peut accorder à la reconstitution du réseau. Elle découle d’une estimation des infrastructures (normes IFRS) à leur "juste valeur" en comparant la somme actualisée des flux de trésorerie futurs générés dans l’avenir par l’utilisation des infrastructures et la valeur comptable nette inscrite au bilan, et fondée elle sur les valeurs d’acquisition et l’amortissement pratiqué.
Le réseau "SNCF" a été valorisé en 1997 à 22,5 milliards €. RFF a déprécié son actif en 2005 de 9 milliards €, et opéré une reprise d’amortissements de plus de 10 milliards € en 2009 (la valeur actualisée des flux de trésorerie devenant supérieure à la valeur nette comptable… ) on se retrouve logiquement à des niveaux tournant autour de 40 milliards compte tenu du rythme d’investissement de RFF dans les années 2000. En se référant aux comptes de 2010, on relève un "coût des immobilisations ferroviaires estimé à un peu moins de 53 milliards € et la valeur nette comptable de l’ordre de 42 milliards €.
Cette approche est parfaitement discutable. En effet, rien n’impose de recourir à une actualisation de flux futurs d’Excédents bruts découlant au surplus de prix de monopole (le tarif des redevances d’usage et de réservation des sillons ferroviaires), dont tout le monde sait qu’ils sont inférieurs aux coûts. Il était possible en revanche de prendre en compte la valeur de renouvellement.
Quelles conséquences ?
RFF en donne une idée indirecte dans l’annexe 10.1 du "Document de référence du réseau" 2013. On y constate que, d’après RFF, le montant retenu en 2010 pour l’amortissement économique du réseau est de 1,9 milliard €, soit à peu près deux fois les amortissements comptables. Un écart à mon sens excessif. Si cette situation perdurait, sans hausse massive des prix, on ne manquerait pas de considérer que la dette de RFF n’est pas "soutenable".
Nota
Règlement (CE) No 1126/2008 De la commission du 3 novembre 2008 portant adoption de certaines normes comptables internationales : "En l'absence d'indications de marché sur la juste valeur d'une immobilisation corporelle en raison de sa nature spécifique et du fait qu'elle est rarement vendue, sauf dans le cadre d'un transfert de l'activité, une entité peut être amenée à estimer la juste valeur en utilisant l'approche par le résultat ou l'approche du coût de remplacement net d'amortissement."