Petit commentaire sur le Sernam et la messagerie
Après la reprise du Sernam par Geodis...
Les mastodontes vont-ils enfin stabiliser le marché ?
C'était en 2001. Dans une note au gouvernement français, la Commission Européenne détaillait et analysait l'aide apportée au Sernam et les conditions de reprise de l'ancien service autonome de la Sncf par Geodis. Il est vrai que cela faisait déjà de longues années qu'on cherchait pour l'entité - on n'osait parler alors de véritable entreprise - une issue à une situation financière de plus en plus critique et trop visible dans les comptes du chemin de fer français. Des propositions de reprise avaient émané de trois groupes dont Geodis et ABX qui était alors encore une branche de la SNCB (les chemins de fer belges). Geodis prévoyait alors semble-t-il de fermer 35 agences sur près de 100 (baisse du Chiffre d'affaires prévue de 18%).
Et les choses ne se sont pas faites. Et si la Commission y mis plusieurs fois son nez, ce fût pour apprécier la nature de l'aide apportée par les "pouvoirs publics", le litige portant sur 503 millions d'euros d'une part et 41 millions d'euros de l'autre... Signalons au passage que la Commission soulignait en 2004 la volonté de faire du Sernam un outil de développement d'une messagerie utilisant massivement le rail.....
En 2005, faute de candidat extérieur, l'entreprise était reprise par "ses dirigeants", le groupe Butler prenant l'année suivante une part majoritaire du capital, en soulignant son intérêt pour le secteur des transports (il était alors intervenu à la Sncm et chez Giraud), on connait la suite....
Entre temps, ABX a été également sorti du giron du chemin de fer belge, et finalement repris par le danois DSV en 2008 après quelques sérieuses restructurations.... Curieusement, ABX - alors parfois très gourmand - avait dans le passé exprimé son intérêt pour la reprise de Mory, tandis que des manoeuvres de rapprochement entre la Poste et Geodis ont été un temps évoquées. Or Mory, on le sait, finira par devoir être également repris après un passage obligé au Tribunal de Commerce, par Caravelle, repreneur entre-temps de Ducros Express, des mains du groupe DHL (de la Deutsche Post). Un repreneur qui additionne donc deux entreprises qui furent mal portantes, tandis que Butler, voulait faire de même en cherchant de son côté à additionner Sernam et Mory. Geodis de son côté aura, pendant l'intervalle, absorbé Ciblex (ex Hays DX, 2010), la Poste abandonné TATEX, Kuehne & nagel repris Alloin, et plus récemment, l'opération de rachat de TNT par UPS a été officialisée.
L'évolution du secteur depuis une dizaine d'années aura donc été marquée par le maintien d'une situation difficile pour plusieurs opérateurs majeurs, conduisant à leur regroupement au sein d'entités de taille plus conséquente, et une diminution massive du nombre d'enseignes et de groupes présents sur le marché.
La concentration engagée - même si elle concerne des groupes ayant parfois une dimension européenne ou mondiale - met cependant en lumière le fait qu'elle se joue d'abord sur une base nationale. Ce sont des réseaux "nationaux" de messagerie (voire d'express) qui sont consolidés, restructurés, concentrés, même si, parfois, les acheteurs - parfois temporaires - sont internationaux.
Aux USA, un jeu similaire a poussé les messagers et expressistes sur la voie de la concentration, et comme en France, du dépôt de bilan préalable. Dans un jeu où les groupes veulent tous - en propre - un réseau national, il est mécaniquement difficile de faire vivre un nombre important de réseaux concurrents. Cela tout le monde le sait depuis longtemps... poussant les acteurs à la concentration. Mais l'expérience montre que peu d'opérations de consolidation sont gagnantes, et quand elles le sont, elles sont parfois très coûteuses. L'expérience montre également que certains groupes ont manifestement joué la carte de la concurrence par les prix pour renforcer leur part de marché et tenter d'exclure des réseaux peu viables.
Cette mécanique a alimenté - surtout quand les groupes agissants sont puissants et bénéficient d'une signature de qualité - un effritement majeur des marges, et la situation critique de plusieurs acteurs. Sur un marché oligopolistique, je ne crois pas - en dehors d'un ou deux super-leaders - que les concurrents puissent longtemps jouer à la guerre des prix. Ce qui, malheureusement, a été fait.
Il est intéressant - sur le plan de l'analyse historique et économique - de voir le Sernam retourner dans le giron de son créateur et finir par être digéré par ce qu'on présentait encore, il y a 30 ans, comme un "produit" historique : le groupe Geodis, et en l'espèce Calberson, façonné par Guy Crescent (président du groupe Calberson de 1963 à 1985). Intéressant, parce-que j'ai encore en mémoire le discours surréaliste que tenait le directeur d'alors du Sernam (Jacques Peter), qui, en 1983, nous expliquait que Sernam, Calberson, et le petit secteur messager de Bourgey Montreuil n'avaient rien à voir, et qu'aucune synergie ne devait être recherchée. Un discours que ne condamnaient pas d'ailleurs les cadres de Calberson qui considéraient le Sernam comme concurrent inefficace et dont l'intégration était impensable...
Il est intéressant aussi de voir les difficultés rencontrées par le groupe DHL pendant cette période - un temps très boulimique - dans le secteur de la messagerie voire de l'express "national" dans plusieurs pays, et les retournements stratégiques de groupes comme la Poste Néerlandaise qui a, tricoté puis détricoté un groupe multi-métier (TNT était devenu un groupe logistique, messager, expressiste, et organisateur de transport avant de tout céder par branche...).
Le fait est qu'on peut s'interroger - je l'ai fait souvent - sur la stratégie véritable des groupes publics ou anciennement publics, et sur la durabilité des stratégies des groupes financiers investis dans le transport. Les premiers semblent avoir une certaine inconstance ou une vision stratégique hésitante, et sont parfois soumis aux décisions de court terme des gouvernants. Les seconds cherchent souvent la plus-value de court terme, jusques et y compris en reprenant certaines firmes pour l'Euro symbolique. On rêverait presque de la constance de certains fonds privés US ou certains fonds souverains étrangers qui, se passionnent durablement pour le secteur. Hasard sans doute. Et peut-être provisoire...
Au total, pour en revenir à la France, la question de fond est de savoir si les nouveaux mastodontes du marché (le groupe la Poste, Geodis enrichi du portefeuille Sernam, l'ensemble UPS-TNT, le groupe Caravelle) vont pouvoir stabiliser le marché (avec un poids cumulé tous marchés d'au moins 70 %) après plus de 15 ans de grand désordre. Et si les autres acteurs ne vont pas, à leur tour considérer que leur taille est insuffisante.
Les mastodontes vont-ils enfin stabiliser le marché ?
C'était en 2001. Dans une note au gouvernement français, la Commission Européenne détaillait et analysait l'aide apportée au Sernam et les conditions de reprise de l'ancien service autonome de la Sncf par Geodis. Il est vrai que cela faisait déjà de longues années qu'on cherchait pour l'entité - on n'osait parler alors de véritable entreprise - une issue à une situation financière de plus en plus critique et trop visible dans les comptes du chemin de fer français. Des propositions de reprise avaient émané de trois groupes dont Geodis et ABX qui était alors encore une branche de la SNCB (les chemins de fer belges). Geodis prévoyait alors semble-t-il de fermer 35 agences sur près de 100 (baisse du Chiffre d'affaires prévue de 18%).
Et les choses ne se sont pas faites. Et si la Commission y mis plusieurs fois son nez, ce fût pour apprécier la nature de l'aide apportée par les "pouvoirs publics", le litige portant sur 503 millions d'euros d'une part et 41 millions d'euros de l'autre... Signalons au passage que la Commission soulignait en 2004 la volonté de faire du Sernam un outil de développement d'une messagerie utilisant massivement le rail.....
En 2005, faute de candidat extérieur, l'entreprise était reprise par "ses dirigeants", le groupe Butler prenant l'année suivante une part majoritaire du capital, en soulignant son intérêt pour le secteur des transports (il était alors intervenu à la Sncm et chez Giraud), on connait la suite....
Entre temps, ABX a été également sorti du giron du chemin de fer belge, et finalement repris par le danois DSV en 2008 après quelques sérieuses restructurations.... Curieusement, ABX - alors parfois très gourmand - avait dans le passé exprimé son intérêt pour la reprise de Mory, tandis que des manoeuvres de rapprochement entre la Poste et Geodis ont été un temps évoquées. Or Mory, on le sait, finira par devoir être également repris après un passage obligé au Tribunal de Commerce, par Caravelle, repreneur entre-temps de Ducros Express, des mains du groupe DHL (de la Deutsche Post). Un repreneur qui additionne donc deux entreprises qui furent mal portantes, tandis que Butler, voulait faire de même en cherchant de son côté à additionner Sernam et Mory. Geodis de son côté aura, pendant l'intervalle, absorbé Ciblex (ex Hays DX, 2010), la Poste abandonné TATEX, Kuehne & nagel repris Alloin, et plus récemment, l'opération de rachat de TNT par UPS a été officialisée.
L'évolution du secteur depuis une dizaine d'années aura donc été marquée par le maintien d'une situation difficile pour plusieurs opérateurs majeurs, conduisant à leur regroupement au sein d'entités de taille plus conséquente, et une diminution massive du nombre d'enseignes et de groupes présents sur le marché.
La concentration engagée - même si elle concerne des groupes ayant parfois une dimension européenne ou mondiale - met cependant en lumière le fait qu'elle se joue d'abord sur une base nationale. Ce sont des réseaux "nationaux" de messagerie (voire d'express) qui sont consolidés, restructurés, concentrés, même si, parfois, les acheteurs - parfois temporaires - sont internationaux.
Aux USA, un jeu similaire a poussé les messagers et expressistes sur la voie de la concentration, et comme en France, du dépôt de bilan préalable. Dans un jeu où les groupes veulent tous - en propre - un réseau national, il est mécaniquement difficile de faire vivre un nombre important de réseaux concurrents. Cela tout le monde le sait depuis longtemps... poussant les acteurs à la concentration. Mais l'expérience montre que peu d'opérations de consolidation sont gagnantes, et quand elles le sont, elles sont parfois très coûteuses. L'expérience montre également que certains groupes ont manifestement joué la carte de la concurrence par les prix pour renforcer leur part de marché et tenter d'exclure des réseaux peu viables.
Cette mécanique a alimenté - surtout quand les groupes agissants sont puissants et bénéficient d'une signature de qualité - un effritement majeur des marges, et la situation critique de plusieurs acteurs. Sur un marché oligopolistique, je ne crois pas - en dehors d'un ou deux super-leaders - que les concurrents puissent longtemps jouer à la guerre des prix. Ce qui, malheureusement, a été fait.
Il est intéressant - sur le plan de l'analyse historique et économique - de voir le Sernam retourner dans le giron de son créateur et finir par être digéré par ce qu'on présentait encore, il y a 30 ans, comme un "produit" historique : le groupe Geodis, et en l'espèce Calberson, façonné par Guy Crescent (président du groupe Calberson de 1963 à 1985). Intéressant, parce-que j'ai encore en mémoire le discours surréaliste que tenait le directeur d'alors du Sernam (Jacques Peter), qui, en 1983, nous expliquait que Sernam, Calberson, et le petit secteur messager de Bourgey Montreuil n'avaient rien à voir, et qu'aucune synergie ne devait être recherchée. Un discours que ne condamnaient pas d'ailleurs les cadres de Calberson qui considéraient le Sernam comme concurrent inefficace et dont l'intégration était impensable...
Il est intéressant aussi de voir les difficultés rencontrées par le groupe DHL pendant cette période - un temps très boulimique - dans le secteur de la messagerie voire de l'express "national" dans plusieurs pays, et les retournements stratégiques de groupes comme la Poste Néerlandaise qui a, tricoté puis détricoté un groupe multi-métier (TNT était devenu un groupe logistique, messager, expressiste, et organisateur de transport avant de tout céder par branche...).
Le fait est qu'on peut s'interroger - je l'ai fait souvent - sur la stratégie véritable des groupes publics ou anciennement publics, et sur la durabilité des stratégies des groupes financiers investis dans le transport. Les premiers semblent avoir une certaine inconstance ou une vision stratégique hésitante, et sont parfois soumis aux décisions de court terme des gouvernants. Les seconds cherchent souvent la plus-value de court terme, jusques et y compris en reprenant certaines firmes pour l'Euro symbolique. On rêverait presque de la constance de certains fonds privés US ou certains fonds souverains étrangers qui, se passionnent durablement pour le secteur. Hasard sans doute. Et peut-être provisoire...
Au total, pour en revenir à la France, la question de fond est de savoir si les nouveaux mastodontes du marché (le groupe la Poste, Geodis enrichi du portefeuille Sernam, l'ensemble UPS-TNT, le groupe Caravelle) vont pouvoir stabiliser le marché (avec un poids cumulé tous marchés d'au moins 70 %) après plus de 15 ans de grand désordre. Et si les autres acteurs ne vont pas, à leur tour considérer que leur taille est insuffisante.