Machiavelli est-il corse ?


Après le vote de l’attribution de la DSP maritime Continent Corse,  le 6 septembre par l’assemblée corse

Machiavelli est-il corse ?


Tout était ficelé.  A telle enseigne que les amendements proposés et soutenus finalement par tout le monde n’ont pas été votés pour cause de remise en cause de la convention signée avec les bénéficiaires de la DSP (Délégation de Service Public).
On se demande même à quoi sert un appel d’offre. Il est évident que la dévolution de la délégation de service public au titre de la continuité territoriale avec la Corse – attribuée par la Collectivité territoriale – ne pouvait échapper à la SNCM alliée à la CMN baptisée par tous de « bon élève ». Mais à la SNCM d’abord, compagnie jadis reprise par Veolia au grand bénéfice de Butler.  Personne, en Corse, à Marseille et à Paris, n’est étonné de la décision prise – en toute souveraineté – par l’Assemblée de Corse au terme de sa séance du 6 septembre 2013.
Avant d’examiner les conditions bien particulières de cette DSP, revenons sur quelques éléments du contexte. 

·            Nulle surprise

La SNCM est en crise durable et connaît une conflictualité récurrente. Rien de nouveau, nous écrivions la même chose en 2005. Les choix précédents – restructurations, reprise par Veolia, contenu des DSP – ont conduit, non à « sauver » la compagnie, mais à la fragiliser considérablement, la compagnie se trouvant sous une double menace de remboursement de sommes perçues de manière indue et en relatif déséquilibre financier.
Il n’est donc pas très surprenant que personne prenne le risque de « ne pas donner » la DSP à un consortium mené par la SNCM. Dans un communiqué, le Président de la Corsica Ferries rappelle  en effet qu’« Une offre ligne par ligne (comme cela est la règle juridique) aurait ainsi permis une économie de 350 M € sur les 10 ans à venir car la meilleure combinaison aurait été d’intégrer en partie Corsica Ferries sur 2 ou 3 lignes ». Le « cadeau empoisonné » dont nous parlions lors de la précédente DSP ne pouvait être retourné à ceux qui l’ont fait, et peu importe si le choix final se porte sur une solution plus onéreuse.  La SNCM fait peur !
Et on peut penser que Paul Giacobbi a probablement tort de dire,  que, dans cette affaire, il a pris en compte exclusivement les intérêts de la Corse en proposant de choisir la SNCM, bénéficiaire de 60 % de la dotation consacrée à la DSP maritime.  Il est bien évident que le poids du problème social et de l’histoire des dessertes maritimes, que les prises de position des organisations syndicales, comme des élus marseillais, et du ministre des transports, et in fine de la direction générale de la compagnie, qui ont débouché sur le plan industriel  de la compagnie adopté au début de l’été, conditionnent largement la décision des conseillers territoriaux de Corse.  Il est évident que l’exécutif n’avait aucunement l’envie de faire face à un éventuel conflit sur les mers, alors même qu’en jouant au plus fin, on pouvait en rejeter sur d’autres la responsabilité…  et surtout plus tard. Le choix  de la SNCM et de son alliée est dès lors évidemment inéluctable puisqu’aucune autre offre n’a été retenue, par le refus de traiter la DSP ligne à ligne au motif de « l’absence de proposition précise de la Corsica Ferries ».
Et de fait, c’est la SNCM dans sa totalité – ses actionnaires et les salariés de  l’entreprise, qui in fine, ont largement défini le contour de la réalité de la DSP : celle-ci intègre le plan de redressement de la SNCM et non l’inverse.  Mais de tout cela, finalement, l’exécutif  de la CTC (Collectivité Territiale de Corse) n’en a cure, puisqu’il fallait se sortir d’un piège : donner un sens politique à la mort éventuelle de la compagnie et de ses conséquences sociales.
Mais revenons au dossier.
Paul-Félix Benedetti (nationaliste), mais aussi Gilles Simeoni (Femu a Corsica) et Marie-Antoinette Santoni-Brunelli  (Rassembler pour la Corse) ont exprimé avec netteté au cours des débats en séance le 6 septembre leurs doutes sur la proposition de la SNCM,  et regretté que la Corse s’engage sur un dossier aussi visiblement discutable. Un choix dont certains considèrent qu’il n’est pas fait dans l’intérêt de la Corse, et ne permet pas de garantir, loin de là, l’avenir de la SNCM. Paradoxe.
La réalité économique et sociale (tendue, conflictuelle) de la SNCM est connue. La CGT (60 % dans les élections des délégués de bord (marins) et ses alliés pèsent 90% des voix des marins, et ils sont près à en découdre. Tout le monde le sait, aussi bien Marseille, où la problématique de l’emploi  et le pouvoir de nuisance des marins et dockers est très sensible autour du port, qu’à Paris, et naturellement en Corse. Mais au lieu de tenter de régler à moyen terme l’avenir d’une compagnie qui pène à dégager – après subvention – des résultats positifs, syndicats et direction ont conçu le projet d’adosser à la DSP un plan industriel prévoyant un renouvellement de la flotte. Certains y voient l’audace d’un pari, d’autres une fuite en avant.
Mais c’est là qu’il nous faut revenir au contenu de la convention prévisionnelle de DSP.  Celle-ci accepte, ou si l’on prèfère donne une assise économique et financière au pari de la SNCM. En effet, le dossier d’appel d’offre indique par que l’offre doit respecter par exemple une « capacité minimale passagers » de 410 000 passagers annuels.  Or, en pratique, l’offre (capacité) prise en compte en 2014 est de 1 377 404  PAX  et de  2 534 000  en 2017. On part donc de trois fois plus pour ensuite encore doubler la mise.  Le même constat peut être fait pour le fret avec une offre initiale en capacité de 4,4 millions de mètres linéaires pour une demande de 1,6. Autrement dit, d’emblée, la SNCM propose largement plus qu’on ne lui demande s’engage à approfondir l’écart avec le cahier des charges en particulier pour les passagers. Au départ, c’est logique, les bateaux sont là. Mais dès lors qu’on renouvelle non seulement on ne s’adapte pas à la demande de la CTC, mais on accroit l’écart avec elle au nom de la productivité.
On pourrait s’étonner de ce que la CTC accepte de payer pour un service excédent largement sa demande, et s’interroger ensuite sur les projections de trafic produites par la compagnie. Des projections manifestement volontaristes permettant d’honorer le discours du plan industriel de l’entreprise, mais non seulement non expliquées et fort aléatoires. Ainsi, la SNCM attend un doublement du nombre de ses passagers, le tout sous l’égide du « service public ».  « Qui donc sont ces passagers », s’interrogea en séance Gilles Simeoni, sans avoir la moindre réponse, et pour cause, personne n‘en sait rien !
Tout en fait est dans cette alchimie : le programme d’investissement de la SNCM, dont la CTC se félicite, conduit à  démultiplier la capacité offerte par la SNCM (anciennement dénoncée par les opposants à la Corsica Ferries). Cette surcapacité conduit à poser les termes d’une nouvelle équation : la rentabilisation des nouveaux bateaux.  Pour la SNCM cela se traduit par une multiplication miraculeurse par 2,4 des recettes « billets » des passagers. La stabilité prévue des trafics de la CMN semble accréditer la thèse d’un pari de la SNCM, pari, qui dans le passé (lors des précédents renouvellement de flotte), n’a jamais été gagné – il ne l’a jamais été dans le passé -, et pour l’avenir ne fait même pas l’objet d’une ébauche d’explication.
Certes la SNCM augmener sa productivité globale avec ses nouveaux navires. Mais cela passe par une augmentation de la capacité et donc un nouveau défi : trouver de nouveaux clients.  Et si le « pari » relatif aux trafics ne se réalise pas, les gains de productivité disparaîtront, et les coûts de capital resteront !  Or cela ne correspond en rien avec la demande du cahier des charges de la CTC. L’objet était une « petite délégation de service public », et non le doublement du trafic !
Le risque de ce « plan » tout comme son inadéquation à la demande de la CTC saute sans doute aux yeux de tous,  tout le monde finissant par en convenir plus ou moins au cours du débat. Mais ce n’est pas tout. Dans l’approche de la future DSP le futur environnement probable de la SNCM n’est pas explicitement pris en compte.
Rappelons que la SNCM a été condamnée à rembourser les aides illégales qu’elle a touchées. Bien que tous les recours n’aient pas été épuisés, la CTC se trouve de fait titulaire d’une créance sur la SNCM de 220 mio €.. Au surplus, les conditions de « sauvetage de la SNCM » lors de sa reprise par Butler capital-Veolia ont été contestées et font l’objet d’une procédure (230 millions € seraient litigieux). Traiter de la DSP et l’attribuer en faisant « semblant » serait hypocrite.
Du coup tout le monde en a parlé sans en tirer d’autre conclusion conventionnelle. Et pour cause. L’ombre de Machiavelli planaît sur l’assemblée, et renégocier risquait de reporter la DSP « d’au moins trois mois ».

·            Machiavelli

La non prise en compte du cumul de ces risques est discutable et fragilise la crédibilté globale d’une convention qui pèche par excès d’optimisme tant sur les recettes que les dépenses. Autrement dit on signerait une convention avec une compagnie fragile, trop optimiste et qui ne survivrait pas aux remboursements éxigés et/ou à la non réalisation de son plan. Une situation inquiétante dont tout le monde convient. Pourquoi dès lors s’en accomoder.
A cela l’exécutif territorial répond par quatre arguments :
1.     La CTC a de fait une créance de 220 millions sur la SNCM.
2.     L’exploitation des délégataires est à leurs risques et périls. Si leur pari n’est pas tenu, tant pis pour eux.
3.     Veolia – maison mère – est gestionnaire de fait de SNCM et il y a confusion de patrimoine entre les deux sociétés.
4.     De toutes manières les nouveaux bateaux ne seront pas acquis sans que d’une façon ou d’une autre la CTC en soit partiellement propriétaire par l’entremise d’une structure ad-hoc.

Autrement dit, Veolia fera son affaire des dettes, et la CTC pourra toujours récupérer les nouveaux navires, et par conséquent opter pour la compagnie régionale souhaitée par certains élus (nationalistes et de gauche semble-t-il). Du billard à trois bandes quoi !
Finalement, on pourrait considérer que mettre n’importe quoi dans la convention de DSP en termes de perspectives comptables n’a aucune importance. On s’interroge alors sur l’intérêt d’un examen détaillé ligne à ligne, pour finalement se contenter de sourire quand on en remet en cause avec raison le sérieux. Tout ceci ne serait donc qu’un jeu de rôle dans lequel la Corse aurait réussi à recycler la patate chaude.
Pas dupe, mais se croyant protégée par sa créance et l’inéluctable position de force qu’elle aura lorsqu’il s’agira de passer commande de navires, la CTC aurait ainsi l’antidote face au séisme annoncé. Si le coup est résussi gageons qu’on pensera désormais que Niccolò Machiavelli (Machiavel) avait dû avoir des ancètres corses du côté de Venaco. Mais on peut aussi douter que le poker ne soit un des éléments constitutif d’une DSP, et soit apprécié des juges comme des banques. Gageons que des recours sont déjà en gestation.

P.S.

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