Taxe poids lourds. Tout ça pour ça

Point de vue

Taxe poids lourds. Tout ça pour ça !

Par Patrice Salini

Qu’on l’appelle redevance, taxe, ou octroi, l’Ecotaxe (taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandise) consiste à faire payer – en pratiquant diverses modulations – le fait, pour un véhicule de transport routier de marchandises de plus de 3,5 tonnes, d’utiliser le réseau constitué du réseau dit national et d’une partie du réseau local « soumis à la taxe ». Ce système de taxation « au kilomètre parcouru » s’applique en fait  à l’ensemble des voies à relativement grande circulation en dehors des routes à péage. Soit environ 15000 km.

Les problèmes entourant la mise en œuvre de cette taxe peuvent être regroupés en  six questions.  

    1. 1. Le réseau pris en compte

Le réseau choisi, d’en gros 15000 km correspond aux routes les plus fréquentées. Ce choix résulte sans doute d’un raisonnement économique où le débit de PL par portique ou par borne doit dépasser un certain seuil. En revanche il ne résulte pas d’un calcul de niveau de couverture des coûts d’usage par les utilisateurs.  Le ratio entre les recettes estimées tirées des poids lourds et les dépenses font ressortir un « manque à gagner » plus fort sur le réseau secondaire que sur les routes nationales. C’est en tout cas ce qui ressort des données communiquées par le Ministère en avril 2003 devant le Conseil National des Transports. De l’étude de l’époque on aurait pu tirer la conclusion qu’il convenait Idéalement, sur la base des niveaux de 2000, de baisser les péages – en particulier pour les petits véhicules – et d’instituer effectivement une redevance poids lourds sur les routes nationales de l’époque, mais surtout en instituer une pour tous les véhicules sur les autres routes, en particulier pour les poids lourds roulant sur les départementales et les voies communales.  Bien entendu, la logique économique du prélèvement de la redevance par un « fermier » conduit à ne pas s’en tenir à la recherche de la couverture des coûts d’usage, mais de rentabiliser un dispositif de prélèvement d’une taxe sur les poids lourds. 




    1. 2. Les redevables, le niveau et la modulation de la taxe. 

Les redevables de la taxe ne le sont pas vraiment en fonction de l’usure provoquée ou des effets externes générés, pusqu’en sont dispensés les véhicules de transports de personnes, les véhicules d'intérêt général prioritaires, les véhicules et matériels agricoles (R311.1 du code de la route), les véhicules, propriété de l’État ou d’une collectivité locale, affectés à l’entretien et à l’exploitation des routes, les véhicules utilisées pour la collecte de lait, et les véhicules militaires. Par ailleurs, les catégories retenues pour le calcul de la redevance combinent le nombre d’essieux et le PTAC. La réalité des poids à l’essieu, et donc du chargement des PL n’est pas pris en compte. Vide ou plein c’est pareil.
Le niveau théorique  des tarifs retenus découle de deux logiques. L’une, implicite, consiste à « trouver » ce qui manque au financement de l’AFITF (agence de financement des infrastructures de transport de France). Il faut trouver si possible autour d’un milliard d’Euros.  L’autre, explicite, consiste à prélever « de quoi couvrir les coûts », et si possible les coûts « collectifs », c’est à dire internes (la route) et externes (la pollution, et les autres effets externes négatifs).  Un principe qui n’est pas appliqué sur le reste du réseau (voir 1) ni au rail ou à la voie d’eau.
Fixé à 8,8 à 15,4 centimes d'euros par kilomètre parcouru, le niveau de taxation varie selon la taille, le poids et le niveau de pollution du camion.  Il est par ailleurs modulé : périphéricité des régions, et absence d’autoroute à péage. Cette modulation établit donc une péréquation en faveur des bénéficiaires antérieurs des crédits d’Etat (autoroutes gratuites) et des régions éloignées de la Ruhr. Ce qui bien sûr va à l’encontre de l’objectif théoriquement poursuivi.

    1. 3. La répercution de la taxe aux clients des transporteurs. 

Lorsque le transport routier est effectué par un transporteur pour le compte d’un client, les dispositions du code des transports prévoient une majoration des prix de transport égale au montant des taxes dûes. Cela n’est bien sûr possible théoriquement que si le transport est effectué par « un ou plusieurs véhicules utilisés pour le compte d'un donneur d'ordres unique ». En revanche, dans le cas contraire, « le prix de l'opération de transport est majoré d'un montant forfaitaire en application d'un barème fixé par arrêté du ministre chargé des transports et établi en fonction du poids et des lieux de chargement et de déchargement des marchandises transportées». 

Ces « majorations » de droit sont en réalité tout le problème. Un prix étant théoriquement le résultat d’une négociation entre un offreur et un demandeur, que ce soit sur le marché spot ou dans le cadre de relations contractuelles portant sur une année par exemple, ils n’intégreront pas systématiquement la majoration, mais résulteront de l’équilibre que le « marché » voudra bien déterminer. D’où l’inquiétude des transporteurs en période de demande maussade. Au total, les transporteurs craignent que la redevance ne vienne minorer mécaniquement leurs marges.

    1. 4. L’impact réel de la taxe. 

La présence sur le sol national de zones où les autoroutes sont actuellement gratuites (Bretagne, Auvergne,zones frontalières…) constitue un avantage qui disparaît avec l’établissement d’une taxe. Ce qui, parmi d’autres facteurs rend ces régions plus sensibles à l’introduction d’une redevance poids lourds. Mais qui sera amoindri en raison même de la modulation de la redevance (voir ci dessus).   
L’incidence globale de la taxe est très faible par rapport aux PIB régionaux (généralement moins de 0,1%), mais aurait des incidences visibles sur certains prix.  L’incidence sectorielle sera sensible sur le complexe agro-alimentaire qui supportera ¼ des redevances payées ainsi que sur celui du BTP (1/3). La question de la répercution (voir 3) est ici centrale. Pour certains produits pondéreux l’incidence peut atteindre facilement plus de 1 % du prix de la marchandise transportée.
Si celle-ci est difficile ou progressive, le secteur des transports connaîtra une baisse de ses marges, et engagera une recherche accrue de productivité – comme en Allemagne -  licite ou non.
L’impact sur la fraction kilométrique directe du coût de certains transports peut être considérable et atteindre 20 à 25 %.
Ces différents effets auront en revanche un effet globalement faible sauf sur les produits de faible valeur (sable par exemple).
En Allemagne, selon une enquête menée auprès des chargeurs en 2005, l’introduction de la lkw-Maut n’a eu aucun effet dans les ¾ des cas, elle a provoqué un meilleur remplissage des véhicules dans 19 % des cas,  et n’a entrainé un report modal que dans 3 à 4 % des cas. Et encore n’a-t-on pas constaté de modification notable des parts de marché.

    1. 5. L’économie générale de la taxe : réinvention de la « ferme » et  coût de prélèvement.

La redevance, même si elle ne permet d’atteindre aucun des objectifs prétendus a au moins comme résultat de prélever un ocrtoi kilométrique sur presque la totalité des transporteurs français et les transporteurs étrangers roulant en France. Du moins une fraction des kilomètres qu’ils roulent sur le sol national. Ce prélèvement se monterait, selon les calculs à 1 à 1,2 milliard €.  Or, le choix d’une part d’un système de prélèvement partiel (on ne refond pas globalement le système de péages en France), et d’autre part celui d’en confier la gestion (et l’investissement) à une entreprise privée, conduit à recréer une ferme à l’image de celles de l’ancien régime, et donc à rémunérer au delà des coûts le service rendu. Le montant de cette rémunération serait, aux dernières nouvelles de l’ordre de 230 millions d’Euros, ce qui fait un rendement faible par rapport au coût de prélèvement. 
Prélever aujourd’hui 1 milliard d’Euros sur le transport routier est chose relativement aisée sans que cela ne coûte grand chose, qu’il s’agisse d’une modulation de la TICPE (ex TIPP sur les carburants), de la suppression de la réduction particulière de TVA dont ils bénéficient, etc . Mais on perdrait le lien avec l’infrastructure.  Pourquoi dès lors ne pas prendre en compte – ce qui ne requiert pas du coup de balises ou de portiques – la totalité du réseau, quitte à défalquer les dépenses d’autoroute, ou fondre les systèmes… il est bien sûr trop tard de tout remettre en cause, ou même – oh horreur – se poser la question de l’amélioration nécessaire de la compétitivité de nos transporteurs par rapport à leurs concurrents en Europe, et donc de la structure de leurs charges. Quant à un système européen… un rêve fou !

    1. 6. Que peut-on dès lors négocier ?


Les marges de manœuvre imaginées tournent autour d’accomodements (plus de péréquations, d’exemptions… ?) dont le coût de mise en œuvre n’est pas négligeable. Autant d’entorses aux principes déjà bien écornés pour rendre la nouvelle « ferme » viable. Le reste concernerait des contreparties. Rendre une partie du milliard aux routiers et aux utilsateurs de camions. Mais alors il faudra « inventer » encore une fois une usine à gaz pour éviter de payer le « fermier » pour un rendement encore amoindri. Logique éventuellement ravageuse. Il eut été préférable de troquer une taxe générale de roulage payée par tous contre une réforme des charges sociales des travailleurs mobiles. Hors cela les marges de manœuvre relèvent d’un pari sur les vertus  du verbe. 

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