A l’occasion du débat sur le chômage : Chiffres, courbes, tendances, ça vous parle ?
Pour
l’écrasante majorité des gens un chiffre est un chiffre. Et même si on a
tendance à douter de leur authenticité, une réalité (le chômage, les prix, la
production…) ça se mesure avec un chiffre qu’on peut commenter simplement.
Hausse, baisse, stabilité, sont des notions en apparence tellement
simples !
Sauf
que selon qu’on parle de stocks (par exemple celui des chômeurs), ou de flux
(par exemple la production de choux-fleurs), on ne parle déjà pas vraiment de
la même chose. Et le temps, là-dedans, ne joue pas le même rôle. Heure après
heure le stock de chômeurs varie peu. La production varie beaucoup plus, ne
serait-ce que quand l’activité s’arrête ou ralentit (repas, nuits, etc). Tout indique aussi que les flux dépendront
plus fortement du nombre de jours ouvrables dans la semaine, le mois, l’année.
Et d’une manière générale, peu de grandeurs – flux et stocks – échappent aux
variations saisionnières. De plus certains aléas singuliers – météorologiques
par exemple – viennent pertuber les chiffres. Et pour finir, les données ne
sont jamais « données ». Ce ne sont pas des fruits naturels, mais
bien le résultat d’une activité de production de chiffres qui répond, selon les
cas, à différentes logiques. Les statistiques du chômage, relèvent par exemple
en France de deux processus dinstincts, l’un, que nous pouvons qualifier
d’administratif mis en œuvre par « Pôle Emploi » recense des
demandes, l’autre résulte d’une enquête statistique ad-hoc de l’Insee
harmonisée au niveau Européen. Du coup parler du chiffre du chômage – sans même
tenir compte des diverses définitions possibles du « chômeur »,
nécessite avant tout de savoir de quoi on parle, puis de déterminer comment on
en parlera.
Prenons
le cas simple des demandes d’emploi en fin de mois dites de catégorie A
publiées par Pôle Emploi (demandeurs d'emploi tenus de faire des actes
positifs de recherche d'emploi, sans emploi), les chiffres généralement
commentés et publiés sont ceux du dernier mois connu (actuellement novembre
2011) en données « corrigées des variations saisonnières et des jours
ouvrables » repérées par l’acronyme CVS-CJO. Autrement dit ce chiffre n’est pas le vrai
« stock » de demandeur de catégorie A (3393900) mais celui CVS-CJO (3293000)
en pratique arrondi à la centaine près. Certains lecteurs trouveront curieux
qu’on publie un chiffre inférieur de 100900 à la réalité, considérant à juste
titre que des chômeurs sont des chômeurs, et que les corrections n’ont d’autre
intérêt que de pouvoir comparer les chiffres d’un mois sur l’autre sans dire de
bêtises. En effet, comparer un mois à un autre n’a pas de sens si on neutralise
pas le nombre de jours ouvrables et la saisonnalité. Le bon sens voudrait en
effet que les 3293000 chômeurs de novembre CVS-CJO soient virtuels, mais pas la
progression de 0,5 % sur octobre 2013 en données corrigées. En revanche la
hausse de 2,1 % en données brutes n’a pas grand intérêt statistique. Cette
analyse hyper-conjoncturelle pourrait être menée de la même manière sur toute
unité de temps « faisant sens ». Ainsi, par exemple, en données
corrigées, les chômeurs « A » augmentent de 0,6 % si on compare l’ensemble
des trois derniers mois « corrigés » aux trois mois précédents. On
peut aussi s’intéresser aux douze derniers mois sur la période identique
précédente (+9,5%), ou encore au « glissement sur un an» c’est à
dire à la valeur de novembre 2013 par rapport à novembre 2012 (+5,6%). Et là,
miracle statistique heureux, la variation en données brute est quasi identique
(+5,8%) ce qui est « normal ».
Alors
que nous livrent les chiffres ?
Sans doute que le chômage a augmenté, et qu’il a continué de le faire,
mais que son rythme de progression semble bien se ralentir.
C’est
là qu’interviennent d’autres techniques statistiques pour « faire
parler » les données. L’une des questions que l’on peut en effet se poser
consiste à savoir quelle est la « tendance » d’évolution du chômage.
En effet, la courbe, même corrigée (CVS-CJO) comprend des fluctuations dont les
facteurs explicatifs sont très variés. Or ce qui nous intéresse c’est bien plus le « sens » dans
lequel évolue « la courbe du chômage » que la grande diversité des
chiffres. Les Instituts statistiques calculent et publient régulièrement des
« tendances » tirées des données, en ayant recours à des méthodes
visant in fine à calculer des moyennes mobiles – souvent complexes –
représentant la « tendance » des données. Bien entendu la
« cuisine » permettant de comprendre les calculs effectués n’est que
très rarement indiquée, et a fortiori détaillée. Pour autant, de nombreux logiciels
– y compris libres – permettent de calculer de telles tendances. Les tendances calculées ne sont pas
franchement meilleurs ni différents des évolutions en CVS-CJO. La tendance du
dernier mois connu est située 0,3 % au dessus du mois précédent.
Une
analyse visuelle de la courbe met cependant assez clairement en évidence une sorte de stabilisation de
l’évolution. Comme si la courbe corrigée n’avait plus de véléité de croissance
significative, ni d’ailleurs de décroissance.
A
partir de là, la modélisation perrmet de livrer quelques prédictions
« autorégressives », c’est à dire extrapolant l’évolution à partir de
l’histoire des chiffres eux-mêmes. Une méthode qui consiste pratiquement à
dire, si ça continue comme ça, si rien ne vient pertuber l’évolution alors les
choses ressembleront à telle ou telle courbe. Eh bien on aboutit alors à
envisager la possibilité d’une baisse légère à partir de décembre, puis en
janvier et février. Mais à un tel
horizon les marges d’erreur sont déjà grandes, trop grandes pour parier sur
autre chose que la stabilisation de la courbe du chômage. En bref, et sans forcer, il aura fallu 1000
mots non pour convaincre, mais pour suggérer que la courbe du chômage baissera
peut-être au début de 2014. Et autant pour suggérer que finalement on n’en sait
pas grand chose.
Patrice Salini
Données source Pôle emploi