Le transport routier et réforme des professions réglementées : rétroviseur

La réforme des professions réglementées semble à l'ordre du jour. 

La réforme de 1986 et son origine

Un domaine dans lequel le secteur des transports routier (mais pas uniquement !) a finalement une expérience bien utile. 

Dans les différents pays d'Europe, mais aussi en Amérique du Nord et à peu près partout dans le monde existait, généralement à la suite de la grande crise des années 1930  et de la seconde guerre mondiale, une réglementation particulièrement contraignante. 
En gros - dans les cas les plus "achevés" on combinait à la fois des conditions d'accès à la profession, un contingentement de la capacité de transport, et des tarifs réglementés{1}.
Les conséquences en était bien connues. Outre la fraude (le transport illégal, la fraude aux tarifs, etc..), le sport n°1 consistait à tenter de prospérer dans un contexte d'économie administrée et donc d'en tirer avantage. 
Des phénomènes de rentes se développaient (location des licences de transport sous couvert de location de fonds de commerce) et un dualisme s'instaurait dans la profession entre ceux qui avaient les titres pour rouler, et ceux qui ne les avaient pas, réduits au rôle de "tractionnaire" - souvent  chez nous sous le couvert d'un statut de loueur de véhicule avec conducteur, tout le monde ne pouvant pas s'abriter derrière le statut de transporteur affrété.
Mais dans les années 1970, ce "système" bloquait la progression du transport public, tandis que le transport pour compte propre (par les chargeurs pour eux-même) progressait plus vite au détriment de la productivité globale du transport routier. En effet, le compte propre est par définition dédié à une entreprise. 
Les pouvoirs publics, trouvant cela sans doute plus commode, avaient concédé par une vulgaire circulaire, d'assouplir l'application en France des règles européennes en matière de conduite et de repos, pour "rendre", si l'on peut dire, le transport public plus compétitif. 

J'ai assez vite proposé alors, non sans quelque opposition, aux gouvernements de gauche, puis mis en oeuvre la préparation des textes permettant de sortir du système contingentaire.
En 1981, j'écrivais au cabinet Fiterman( PCF) : "A terme,il nous semble souhaitable de supprimer le système de contingentement et d'unifier dans un statut unique les prestations réalisées avec des véhicules de plus de 6 tonnes et à longue distance consistant à transporter les marchandises d'autrui."

L'un des arguments, était de "briser les facteurs d'inégalité, les rentes et la spéculation liés à l'existence du marché contingenté des licences". 

La tâche était rude, non seulement avec certains professionnels - tirant profit ou parti d'une situation avantageuse y compris ceux qui étaient, comme certains loueurs, à la périphérie du système - mais aussi au sein de l'appareil d'Etat. 
Les réflexes protectionnistes du lobby ferroviaire - naturellement représenté au sein de l'appareil d'Etat -,  les habitudes et le pouvoir bureaucratiques de l'administration, les principes idéologiques, ne permirent d'avancer que la veille des élections perdues par la gauche sous l'égide de Jean Auroux et Charles Josselin, avec la publication du décret de 1986. 
Alors Directeur de Cabinet du secrétaire d'Etat aux transports, je dus me battre et obtenir du cabinet du premier ministre une lettre impérative pour que le décret soit effectivement signé par les ministres concernés avant le départ du gouvernent Fabius. Il fût publié au JO du lundi postérieur au dernier dimanche électoral.

Le système de 1986

Le système mis en place à l'époque est encore soumis  régulation puisque le décret prévoyait en son article 16  : "L'adaptation de la capacité nationale de transport aux besoins des usagers est réalisée selon les orientations générales arrêtées par Ie ministre chargédes transports, du vu d'un rapport établi par le conseil national des transports après consultation des comités régionaux des transports."
Une formule qui permettait en fait à l'Etat et à ses préfets de maîtriser le flux d'autorisations nouvelles. Et surtout de procéder par étape avant de fonctionner à guichets ouverts.
Une autre permettait de régler le sort des anciennes licences par l'article 23 du décret en précisant : "Les licences de transport de zone longue obtenues par les entreprises de transport sont remplacées nombre pour nombre par des autorisations de transport de Ia classe correspondante."

Deux autres décrets, vivement abrogés concernaient d'une part les commissionnaires de transport - où nous avions l'aplomb de requérir une garantie financière - et la tarification routière, que nous voulions simplifier après négociation avec les transporteurs. Un autre décret, enfin,  - plus politiquement consensuel - concernait les "contrats-types", élaborés longuement avec les professionnels s'interposèrent pour que l'alternance ne les fit pas disparaître.

L'alternance 

L'alternance politique bouleversa bien entendu le programme. 
Le gouvernement Balladur s'attaqua d'emblée aux prix administrés, et donc au Tarifs obligatoires, qui devinrent "de référence" (décret de décembre 1986) avant de disparaître de leur belle mort. 
Le "décontingentement" plaisait moins au ministre, et l'ouverture, progressa plus lentement que prévu. En outre, l'accès à la profession, et en particulier la vérification des capacités professionnelles, fût alors simplifiée à l'extrême (QCM), favorisant un afflux massif de candidats transporteurs (micro entreprises). 
Le bilan est  donc  difficile à faire, d'autant que le caractère singulier de la période  a joué un rôle majeur : baisse du prix du baril, croissance forte et conjoncture favorable. Ces éléments sont venus prêter main forte pour favoriser la baisse des prix (15 à 20 %), la croissance du nombre d'entreprise (10000 je crois) et des emplois (près de 55000 de plus, soit 1/3), des gains de productivité importants, et favoriser la compétitivité routière.
Au total, près de 30 ans après, le secteur routier français - qui a très largement quitté les écrans radars du transport international en Europe - a vu ses effectifs salariés progresser de plus de 114 %. Et si les problèmes récurrents du secteur sont toujours présents (prix, indexation difficile des prix aux coûts, délais de paiement, conditions de travail, concurrence...), la déréglementation a permis indéniablement la croissance interne des firmes les plus efficaces. Le secteur a pu en effet fabriquer de "grandes entreprises" autrement que par rachat patient de fonds de commerce. Et on a probablement - en France - limité l'importance du "tractionnariat", sans d'ailleurs l'éradiquer, mais pour d'autres raisons, fiscales et sociales, ou communautaires.
Et on sait aujourd'hui que la part de marché du routier, a bénéficié tout autant de sa capacité à mobiliser des gains de productivité, que des faiblesses intrinsèques et stratégiques de sa concurrence.

 

{1} La T.R.0. ne couvre en fait qu'environ 50 % du trafic effectué à  plus  de 200 kms par le transport public. 


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