Ecotaxe : Pourquoi Ségolène Royal a raison



Il fallait sortir du feuilleton de l’Ecotaxe. Non par d’obscures raisons « anti-écologiques », mais tout simplement parcequ’on peut difficilement transformer un ensemble d’erreurs – d’analyse, de montage, de mise en œuvre – en vertu. Et ce n’est pas l’impôt écologique qui est fondamentalement en cause, mais celui-là, rien que celui-là.
Revenons une fois encore sur ces erreurs et ces démonstrations (sans doute) volontairement biaisées.



1. Quand on cherche à tirer 1 milliard d’euros environ d’un secteur – voitures et camions confondus – générant plus de 30 milliards de recettes publiques pour 18 milliards de dépenses – on ne monte pas ne usine à gaz comme ça, même en la justifiant au nom du « Grenelle de l’environnement ». Une usine à gaz en effet, que ce dispositif de péage sous-traité au privé, comme les fermes aux impôts de jadis, dont les coûts sont disproportionnés par rapport aux recettes. Des solutions de financement étaient possibles et quasi indolores, qu’il s’agisse de taxation du carburant ou de vignettes. Et quitte à créer un péage de ce type, sans doute aurait-il fallu intégrer l’ensemble du réseau y compris l’actuel réseau concédé. Mais c’est bien sûr compliqué de faire simple. Laissons donc l’illusion que seules les routes à grande circulation sont empruntées, que les agglomérations sont désertes, et que plus des situations différentes cohabitent mieux c’est pour l’équité. En droit comme économiquement c’est bien sûr contestable, mais peu importe n’est-ce pas.



Figure 1 : Données comptables relatives aux recettes et dépenses publiques routières en 2013


Millions €
Recettes tirées de la route hors carburants
 6 642  
Taxes sur les carburants
 23 690  
Total recettes
 30 332  
Dépenses de l'Etat (route,routier)
 2 652  
Dépenses locales de voirie
 15 428  
Total dépenses
 18 080  




Source : Commission des comptes des transports de la Nation 2014

2. Le second argument est celui de la tarification de l’usage des voiries en fonction du « coût marginal social d’usage ». Une notion qui mèle l’usure – et prend donc en compte le poids à l’essieu – la congestion, la pollution, les accidents, etc..On sait depuis longtemps que les taxes tiré du transport routier ne couvrent pas toujours ces coûts marginaux. On sait depuis une étude de 2003[1], que les poids lourds couvrent leurs coûts sur autoroutes à péage, mais « qu’ils ne couvrent en moyenne qu’environ 60% du coût marginal social (noté CMS) sur le réseau national non concédé. Sur la totalité du réseau national, les poids lourds couvrent à plus de 95% les Coûts marginaux sociaux et à plus de 85% les coûts complets occasionnés par leurs circulations. ». Chose curieuse, nos législateurs n’ont jamais lu le paragraphe suivant de l’étude qui explique « Le constat est différent sur les réseaux locaux où si les recettes prélevées sur les véhicules légers dépassent les différentes estimations de charges, en revanche les poids lourds sont loin de couvrir les coûts internes et sociaux qu’ils occasionnent (couverture moyenne entre 25% pour le coût complet et 40% pour le coût marginal social». Autrement dit, le manque à gagner est surtout présent sur les réseaux locaux, et il aurait dû les y intégrer au nom de l’équité et de l’économie ! Mais il y a plus. Le praragraphe suivant de l’étude affirme : « la plupart des véhicules légers et lourds ne couvrent pas les coûts marginaux sociaux sur les tronçons les plus chargés du réseau national concédé ou sur certaines routes nationales ordinaires à certaines périodes. L’insuffisance de couverture des coûts est encore plus sensible – particulièrement pour les poids lourds - en milieu urbain dense ou diffus et ceci quelle que soit la période considérée notamment sur le réseau autoroutier non concédé ». une fois encore on n’a retenu que « les tronçons les plus chargés », et oublié les « véhicules légers » qui ont l’inconvénient de transporter des électeurs. Plus encore, dans tout bilan on devrait prendre en compte les excédents de recettes aussi bien que les manques. Ce qu’on a pris soin de ne pas faire, bien entendu, et pour cause, puisque le bilan Recettes sur CMS est en gros équilibré pour l’ensemble. En revanche, il manquerait bien 6 milliards sur les coûts complets.

Figure 2 : évaluation des coûts et de leur couverture en 2000




source : étude sur la couverture des coûts routiers (op.cit)

n.b. Les coûts ci-dessus intègrent des coûts externes comme le bruit ou la pollution atmosphérique. Ce qui explique l'écart avec les "dépenses" indiquées plus haut 

L’analyse de ce second tableau aurait dû suggérer une autre approche que celle qui a été retenue. Mais là, l’économie fiscale est venu supplanter l’économie tout court. A partir du moment où il faut implanter des portiques et prélever les taxes « au passage », comme autrefois l’octroi, et qu’on se refuse à considérer les véhicules légers, il faut bien se rendre à l’évidence que c’est la densité du trafic qui compte, et que dans ce cas seuls les portiques sur les voies à grande circulation seront « rentables ». Et c’est ainsi qu’on a éliminé d’abord 50 % du réseau pour se concentrer finalement sur 1/5 seulement, puis nettement moins.  



3. Un troisième ensemble d’arguments peut être avancé. Par construction le système « frappait » de manière inégalitaire, et posait, on le sait des problèmes complexes quant à sa répercussion sur les clients. Mais après tout nous sommes habitués à ces inégalités diverses. Mais – plus grave – le dispositif ne risquait pas d’avoir grand effet sur la répartition modale comme on semblait disposé à le faire croire. Les raisons en sont fort simples, et les expériences étrangères le démontrent : la Maut allemande n’a rien changé de ce côté là. En effet, la répartition modale ne change que s’il existe des offres compétitives alternatives, ce qui n’est pas vraiment le cas et met du temps à se mettre en place et nécessite autre chose que quelques hypothétiques routes-roulantes ferroviaires. Quant aux trafics de transit non seulement les alternatives n’existent guère, mais il est évident qu’on escomptait des recettes et non une éviction. Ce qui nous ramène aux objectifs réels : prélever 1 milliard sur les poids lourd. Et sur ce terrain, honnêtement, on pouvait faire simple et moins cher. 

P.S. •11 octobre 2014•






[1] « Couverture des coûts
des infrastructures routières » Ministère de l’écologie et du développement durable, 2003

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