Faut-il croire au mémorandum « alliance du #routier » ?

Faut-il croire au mémorandum[1]« alliance du routier »


Que penser de l’initiative d’Alliance du routier ?
Le premier sentiment est naturellement positif. Comment ne pas saluer l’initiative d’une meilleure coordination dans un but ouvertement social ! Il est constitué officiellement : « en faveur d’un marché unique du transport routier qui garantisse mieux les droits sociaux fondamentaux et des contrôles plus efficaces ».
En revanche, il n’échappera à personne que cette alliance  du routier  a été consituée par les Etats de l’Union Européenne les plus avancés, hormis les Pays-Bas[2]. Pas plus qu’on ne peut ignorer que les « nouveaux entrants » n’en font pas partie, pas plus que l’Espagne, ou le Portugal.
A ce titre l’alliance reflète parfaitement la volonté des pays les plus riches de se protéger.  C’est un club regroupant les pays à niveau de salaire élevé, dont le coût annuel d’un conducteur est le plus élevé, et pays pour lesquels la durée moyenne de conduite est la plus faible en Europe.
Mais le point de départ de ces pays est fort différent si on examine le détail de l’organisation et de la rémunération du travail, et sur l’application même de la directive 2002/15 en ce qui concerne le temps de travail.  Pour le moins, la seule contrainte respectée de manière uniforme concerne finalement la durée de conduite.  De ce point de vue, je m’interroge sur les intentions réelles de l’alliance . Par ailleurs, comme toujours, on oublie l’important dualisme du secteur entre d’une part les salariés, et de l’autre les travailleurs indépendants, pour lesquels la notion traditionnelle de durée de travail, de service ou de temps à disposition n’a guère de sens pratique.

Du coup je m’interroge. L’alliance ne peut guère agir sur les facteurs qui  expliquent l’essentiel des différences : le niveau de revenu, la conception de l’organisation du travail, le niveau de cotisations sociales, ne découlent en rien ou peu de l’application des règles européennes.
Oublie-t-on que l’histoire nous a appris que lorsque la concurrence salariale est insuffisante se développe alors celle des travailleurs indépendants ?

Parmi les objectifs affichés quels sont ceux qui peuvent répondre aux problèmes des transporteurs ?

L’objectif de convergence – entre pays riches – est bien entendu souhaitable. Mais elle ne changera pas grand chose, sauf en termes de simplification et des contrôles et de la mise en œuvre des règles par les opérateurs.
Mais ne rêvons pas, nos conceptions du droit du travail ne sont pas homogènes. Les faire converger répond à un objectif bien plus ambitieux.

L’amélioration de  « nos pratiques de contrôle sur la base de nos expériences mutuelles » et le renforcement de la « coopération pour rendre plus efficace la lutte contre la fraude aux règles sociales, de sécurité et du travail et contre les pratiques abusives. » est aussi au rang des bons objectifs. Mais la disparité des moyens humains et techniques mis en œuvre, et de leur organisation mériterait d’être abordée, et réduite.
L’engagement de définir des positions communes visant à lutter contre le dumping social et promouvoir une concurrence loyale est bien entendu positif, comme le rappel de l’importance de la sécurité routière.
Retenons donc l’essentiel : la volonté d’une coopération renforcée entre Etats… et l’absence de structure commune, de moyens communs. La pas à franchir était-il trop grand ?
Passons aux mesures préconisées …
Certaines correspondant explicitement à des objectifs qu’on peut considérer comme nouveaux, méritant l’analyse. En revanche certains semblent aller de soi, et témoignent d’une absence de réelle initiative en matière de politique commune et de coopération dont il faudrait faire le giref aux Etats et à la Commission, et à la quelle répond le projet de coopération renforcée.

a) Les deux mesures pouvant être discutées
« Mesure n° 1 : Mettre en place des mesures garantissant le droit du conducteur à un équilibre entre vie professionnelle et vie privée. » Le principe ne peut qu’être approuvé puisqu’il vise en fait le retour à domicile pour les repos hebdomadaires. Mais il ne vise de fait que les pays de l’alliance.
« Mesure n° 2 : Renforcer les mesures concernant les véhicules utilitaires légers impliqués dans le transport international de marchandises. » 
Le sujet est d’autant plus sensible que le phénomène apparaît comme socialement, énergétiquement et écologiquement improductif. Pour autant, si l’objectif est compréhensible, il se heurte à une discrimination explicite entre le transport intérieur et le transport international (contraire au droit européen) et fait renâitre une vielle revendication dont je me souviens parfaitement avoir discuté, à propos du transport intérieur, avec l’Unostra au début des années 1980.  L’extension du champ d’application des règles du transport public se heurtait déjà à un problème de taille : l’importance du parc en cause, et la faiblesse des moyens de contrôle.

b) Viennent ensuite les mesures qui devraient être mises en œuvre au niveau de l’UE et dont on ne comprend guère qu’il faille un mémorendum pour leur donner une chance d’aboutir :

« Mesure n° 3: Faciliter le recours à des lettres de voiture numériques (e-CMR) par l’encouragement à l’adhésion au protocole additionnel à la convention de l'ONU relative au contrat de transport international de marchandises par route (CMR) (19 mai 1956) en faveur de la reconnaissance des e-CMR. 
 » Qui peut être contre ?
« Mesure n° 4 : Echanger les données les plus pertinentes issues des corps de contrôles nationaux pour profiter des retours d’expérience et mieux cibler les contrôles. 
 » Idem.
« Mesure n° 5 : Partager des initiatives innovantes ciblant l’évaluation du cabotage ainsi que les systèmes de contrôle qui garantissent un transport de haute qualité au profit d’entreprises exemplaires. » Idem 

« Mesure n° 6 : Renforcer les échanges sur les modalités pratiques nationales de contrôle dans la lutte contre la fraude en s’appuyant sur les structures multilatérales existantes. » Idem
« Mesure n° 7 : Développer des échanges transfrontaliers pour une surveillance renforcée de l'application des règles applicables au transport routier, notamment pour investiguer les processus complexes que sont les fraudes à l’établissement (entreprises « boîtes aux lettres ») et les fraudes au tachygraphe. »
Idem
« Mesure n° 8 : Défendre une position commune au sein des instances du Forum International des Transports (FIT – CEMT) afin de garantir la pérennité d’un dispositif pour une évolution maîtrisée du marché. » 
idem


L’alliance se veut être finalement une zone de coopération renforcée. Soit.  Donnons-lui sa chance et des moyens politiques et financiers. Approfondissons les idées évoquées, mettons en œuvre les mesures évidentes, et travaillons aux étapes suivantes. Bref, un peu plus d’audace SVP !



 







[2] Ce qui prend un sens, compte tenu de la tradition néerlandaise en matière de transport routier international.

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