#Grands_Projets : Evaluer autrement pour sortir du fantasme
Sortir du fantasme des grands projets
Les politiques aiment les grands projets, ceux qui semblent
pouvoir marquer l’histoire. Mais autant un palais ou un monument peuvent passer
à la postérité sans se voir opposer la question de leur utilité économique, ou
du moins pas de manière radicale, autant
un grand projet d’infrastructure est censé avoir une rentabilité économique et
sociale. Et du coup leur volonté néglige parfois un peu la qualité de
l’évaluation socio-économique des grands projets. Plus ils fascinent, moins
leur analyse semble rigoureuse.
Au cours de ma vie professionnelle, j’ai été plusieurs fois
confronté – soit dans des fonctions d’étude, soit dans celle de cabinet – à la
passion qui entoure de grands projets d’infrastructure. Ceux qui n’ont pas
connu le long feuilleton autour du canal Seine-Nord (qui a mobilisé un nombre
considérable de grands noms politiques) découvrent aujourd’hui, incrédules,
celui sur la liaison Lyon Turin. Mais il y a eu ou il y aura, le tunnel sous la
manche, le canal Seine Nord, comme on a
eu – avec plus de modération – Seine-Est, ou encore Notre Dame des Landes et
bien d’autres.
En général on a deux grands ingrédients qui font débat :
l’évaluation socio-économique et les conséquences écologiques du projet. En
gros on conteste le bilan socio-économique (trop optimiste) et souvent la –
mauvaise – prise en compte des dommages écologiques.
La question socio-économique devrait, ceci dit, être
théoriquement plus facile à trancher, d’autant qu’il faut trouver des
financements.
Eh bien non ! Tout simplement parce que, dans
l’écrasante majorité des cas, ce sont les promoteurs des projets qui commandent
et diffusent et commentent l’évaluation socio-économique. L’institution,
relativement récente de contre-expertises sous l’égide du Commissariat Général
à l’Investissement (décret 2013-1211), comble une partie des critiques, mais
pas celle de l’absence d’évaluation pluraliste et contradictoire.
Il reste que l’analyse critique de nombre de projets, et a
fortiori des études a postériori met en lumière un réel biais d’optimisme des
promoteurs, et une surévaluation générale des trafics et une sous-évaluation
des coûts. Mais les très grands projets actuellement débattus n’ont pas été
contre-expertisés par le Commissariat Général à l’Investissement.
Il faut donc à la fois réclamer une contre-expertise, et
pour les très grands projets (au-delà de quelques milliards, ou en raison des
risques écologiques) instituer une phase d’évaluations contradictoire, bien
audelà des discussions des assises de la mobilité prévues à l’automne.
Le principe en est
simple. Il s’agit de faire mener en parallèle, avec les mêmes données
disponibles, plusieurs études d’un même projet.
Ces études devraient alors être débattues en deux temps, en premier lieu
devant un panel d’experts avec l’objectif de simplifier et schématiser les
éventuelles différences d’appréciation, puis dans un second temps devant les
élus décisionnaires. Ce processus aurait l’avantage de se substituer au
caractère proprement lobbyiste de l’information diffusée en direction des élus. A ce prix, peut-être, les grands projets
perdront un peu de leur caractère magique. Un rêve !
P.S.