Fret : la stratégie de demain sera-t-elle condamnée pour cause de financement non soutenable du groupe ?
Il fut un temps (30 ou 40 ans), les réflexions concernant le fret ferroviaire, tournaient autour de deux ou trois idées simples.
L’offre ferroviaire
Quand la question majeure de l’offre ferroviaire était évoquée, il s’agissait d’une part d’améliorer les performances du transport de produits pondéreux – dont nous savions qu’il régresserait en volume et en part de marché -, et de l’autre de développer une offre compétitive de transport combiné rail-route.
A l’époque, il s’agissait de mieux massifier, de favoriser l’usage – plus productif – de caisses mobiles, et finalement d’avoir une offre sur des trains d’axes de nuit plus importante. Pour cela il fallait, plutôt que de subventionner le combiné, financer des terminaux efficaces, et adapter la tarification du rail pour favoriser les trains les mieux remplis. Assez vite cette politique – qui a porté ses fruits pendant une dizaine d’année – a montré sa limite.
Du côté du transport lourd le chemin de fer n’a pas vraiment su assurer la qualité et les prix adéquates, et du côté du combiné on n’a pas vraiment franchi le pas nécessaire dans l’organisation d’un réseau de terminaux modernes et efficients, et le renforcement des opérateurs alors dominants en France. La dégradation de la qualité a fait le reste. Le combiné s’est mis à régresser en part de marché, et une aide « au coup de pince » a semblé le maintenir la tête hors de l’eau.
Pendant tout ce temps, on a cherché à développer les autoroutes ferroviaires en partant de l’idée – curieuse – qu’on pouvait plus facilement attirer des clients en transportent leurs semi remorques – ce qu’on avait commencé par faire après guerre en France – plutôt que des caisses mobiles. Le résultat est connu. Développement d’une technique franco-française, subventionnement des lignes, et résultat minime.
De l’autre côté on s’est dit que la SNCF, entreprise globale et de grande envergure ne pouvait efficacement gérer à la fois des lignes (de point à point, de triage à triage), et les transports de proximité. On a donc incité au développement d’opérateurs locaux, censés massifier pour l’opérateur national, et maintenir le rail localement.
Mais, si on s’interrogeait manifestement sur la survie du rail sur un marché de plus en plus « manufacturier » et de moins en moins pondéreux, on peinait à définir le contour d’une offre compétitive.
On peinait… à vrai dire on ne peinait pas mais échouait.
En effet, au détour des années 1980-1990, le projet Commutor était lancé puis abandonné. Or, le projet reposait sur une constatation simple et juste : le besoin d’un transbordement rapide. Bien que voulant en fait remplacer le triage classique par un « tri de boîtes », le système imaginé était en fait une sorte de couteau suisse devant à la fois résoudre le problème du transport industriel classique (wagons isolés comme trains lourds) et celui du combiné. Trop complexe sans doute. Le projet sera finalement abandonné. Cet échec sera finalement dramatique. Après avoir mobilisé beaucoup de travaux pendant une dizaine d’années, il laisse la place à des initiatives qui ne touchent en rien à la question du transbordement rapide, et donc à la vitesse commerciale réelle du transport ferroviaire et à son hinterland. On rajoute même à l’offre « classique » progressivement essentiellement dirigée vers les caisses mobiles et les conteneurs, une offre d’autoroutes ferroviaires se heurtant aux mêmes handicaps. Dans le même temps la desserte des grands ports français ne progresse pas vraiment. On est même frappés par le fait qu’une opération comme Port 2000 au Havre ne s’accompagne pas d’une réflexion et surtout de décisions rationnelles visant à améliorer et renforcer de manière compétitive l’offre ferroviaire. L’échec initial du centre « trimodal » en est une illustration parlante.
Offre globale ou pas ?
Une autre question se posait régulièrement. C’est celle de savoir ce qu’est véritablement une compagnie ferroviaire. Est-ce un tractionnaire cherchant à offrir les meilleures prestations ferroviaires possibles à des organisateurs de transport ? Est-ce un transporteur, cherchant à apporter une solution de transport globale à des clients ? Est-ce un prestataire logistique global offrant des solutions intégrées de gestion de flux et de stocks ? La question était présente dans les débats préalables à la création de la nouvelle SNCF en 1983. Mais le groupe SNCF peinait à en percevoir l’intérêt et même le sens[1]. Si le groupe SNCF existait bien il était le fruit de circonstances. Il fallut attendre que les concurrents – en particulier allemands ou Belges – conçoivent de constituer des groupes de transport multimodaux, pour que le groupe SNCF amorce une évolution comparable, avec quelques années de retard. La compagnie allemande avait d’ailleurs elle aussi hésité. N’oublions pas qu’elle avait revendu sa filiale historique Schenker, avant de s’en porter à nouveau acquéreur.
Une stratégie est-elle possible ?
Les deux questions évoquées touchant au modèle technique ferroviaire et à l’organisation de l’offre et son insertion – ou non – dans une offre globale sont toujours pendantes aujourd’hui. Elles consistent à définir concrètement d’une part l’appareil de production ferroviaire et son modèle d’exploitation futur, et d’autre part le contour de l’offre du groupe et sa façon de vendre ses services. Il est en effet assez différent d’offrir des services de transport contraints par l’usage d’un mode en particulier, et d’élaborer des solutions convenant aux besoins globaux de clients potentiels. C’est aussi l’enjeu des priorités d’investissement du groupe. Or tout ceci découle à la fois des orientations stratégiques du groupe – et manifestement de l’Etat (en a-t-il ?) – et des choix opérés en ce qui concerne son financement. L’installation du groupe ferroviaire dans une situation empêchant un financement long soutenable conduit à interdire toute orientation stratégique forte, et au final à prôner une restructuration réduisant les ambitions à peu de choses pour le fret, sacrifiant à la fois le modèle technique et sa rénovation et toute stratégie de groupe.
P.S.
[1] On finit quand même par en faire mention dans le contrat de plan de 1984
L’offre ferroviaire
Quand la question majeure de l’offre ferroviaire était évoquée, il s’agissait d’une part d’améliorer les performances du transport de produits pondéreux – dont nous savions qu’il régresserait en volume et en part de marché -, et de l’autre de développer une offre compétitive de transport combiné rail-route.
A l’époque, il s’agissait de mieux massifier, de favoriser l’usage – plus productif – de caisses mobiles, et finalement d’avoir une offre sur des trains d’axes de nuit plus importante. Pour cela il fallait, plutôt que de subventionner le combiné, financer des terminaux efficaces, et adapter la tarification du rail pour favoriser les trains les mieux remplis. Assez vite cette politique – qui a porté ses fruits pendant une dizaine d’année – a montré sa limite.
Du côté du transport lourd le chemin de fer n’a pas vraiment su assurer la qualité et les prix adéquates, et du côté du combiné on n’a pas vraiment franchi le pas nécessaire dans l’organisation d’un réseau de terminaux modernes et efficients, et le renforcement des opérateurs alors dominants en France. La dégradation de la qualité a fait le reste. Le combiné s’est mis à régresser en part de marché, et une aide « au coup de pince » a semblé le maintenir la tête hors de l’eau.
Pendant tout ce temps, on a cherché à développer les autoroutes ferroviaires en partant de l’idée – curieuse – qu’on pouvait plus facilement attirer des clients en transportent leurs semi remorques – ce qu’on avait commencé par faire après guerre en France – plutôt que des caisses mobiles. Le résultat est connu. Développement d’une technique franco-française, subventionnement des lignes, et résultat minime.
De l’autre côté on s’est dit que la SNCF, entreprise globale et de grande envergure ne pouvait efficacement gérer à la fois des lignes (de point à point, de triage à triage), et les transports de proximité. On a donc incité au développement d’opérateurs locaux, censés massifier pour l’opérateur national, et maintenir le rail localement.
Mais, si on s’interrogeait manifestement sur la survie du rail sur un marché de plus en plus « manufacturier » et de moins en moins pondéreux, on peinait à définir le contour d’une offre compétitive.
On peinait… à vrai dire on ne peinait pas mais échouait.
En effet, au détour des années 1980-1990, le projet Commutor était lancé puis abandonné. Or, le projet reposait sur une constatation simple et juste : le besoin d’un transbordement rapide. Bien que voulant en fait remplacer le triage classique par un « tri de boîtes », le système imaginé était en fait une sorte de couteau suisse devant à la fois résoudre le problème du transport industriel classique (wagons isolés comme trains lourds) et celui du combiné. Trop complexe sans doute. Le projet sera finalement abandonné. Cet échec sera finalement dramatique. Après avoir mobilisé beaucoup de travaux pendant une dizaine d’années, il laisse la place à des initiatives qui ne touchent en rien à la question du transbordement rapide, et donc à la vitesse commerciale réelle du transport ferroviaire et à son hinterland. On rajoute même à l’offre « classique » progressivement essentiellement dirigée vers les caisses mobiles et les conteneurs, une offre d’autoroutes ferroviaires se heurtant aux mêmes handicaps. Dans le même temps la desserte des grands ports français ne progresse pas vraiment. On est même frappés par le fait qu’une opération comme Port 2000 au Havre ne s’accompagne pas d’une réflexion et surtout de décisions rationnelles visant à améliorer et renforcer de manière compétitive l’offre ferroviaire. L’échec initial du centre « trimodal » en est une illustration parlante.
Offre globale ou pas ?
Une autre question se posait régulièrement. C’est celle de savoir ce qu’est véritablement une compagnie ferroviaire. Est-ce un tractionnaire cherchant à offrir les meilleures prestations ferroviaires possibles à des organisateurs de transport ? Est-ce un transporteur, cherchant à apporter une solution de transport globale à des clients ? Est-ce un prestataire logistique global offrant des solutions intégrées de gestion de flux et de stocks ? La question était présente dans les débats préalables à la création de la nouvelle SNCF en 1983. Mais le groupe SNCF peinait à en percevoir l’intérêt et même le sens[1]. Si le groupe SNCF existait bien il était le fruit de circonstances. Il fallut attendre que les concurrents – en particulier allemands ou Belges – conçoivent de constituer des groupes de transport multimodaux, pour que le groupe SNCF amorce une évolution comparable, avec quelques années de retard. La compagnie allemande avait d’ailleurs elle aussi hésité. N’oublions pas qu’elle avait revendu sa filiale historique Schenker, avant de s’en porter à nouveau acquéreur.
Une stratégie est-elle possible ?
Les deux questions évoquées touchant au modèle technique ferroviaire et à l’organisation de l’offre et son insertion – ou non – dans une offre globale sont toujours pendantes aujourd’hui. Elles consistent à définir concrètement d’une part l’appareil de production ferroviaire et son modèle d’exploitation futur, et d’autre part le contour de l’offre du groupe et sa façon de vendre ses services. Il est en effet assez différent d’offrir des services de transport contraints par l’usage d’un mode en particulier, et d’élaborer des solutions convenant aux besoins globaux de clients potentiels. C’est aussi l’enjeu des priorités d’investissement du groupe. Or tout ceci découle à la fois des orientations stratégiques du groupe – et manifestement de l’Etat (en a-t-il ?) – et des choix opérés en ce qui concerne son financement. L’installation du groupe ferroviaire dans une situation empêchant un financement long soutenable conduit à interdire toute orientation stratégique forte, et au final à prôner une restructuration réduisant les ambitions à peu de choses pour le fret, sacrifiant à la fois le modèle technique et sa rénovation et toute stratégie de groupe.
P.S.
[1] On finit quand même par en faire mention dans le contrat de plan de 1984