#SNCF : La réforme ferroviaire, nécessité, vision et histoire

La réforme ferroviaire, nécessité, vision et histoire

L’histoire des politiques des transports, et singulièrement celle des chemins de fer, met en scène une étonnante fréquence de réformes, dès lors qu’on observe les choses dans la durée. Et l’approfondissement de la politique commune des transports (puis du marché unique) n’a fait que prolonger cet étonnant mouvement.

Nécessité et vision

Les évolutions politiques – et donc financières, organisationnelles et juridiques – reflètent généralement une nécessité (généralement financière) et une vision organisationnelle.  Aujourd’hui par exemple nous avons à régler semble-t-il à la fois un problème de financement à long terme (d’où la question de la dette) en lien avec une insuffisante rentabilité et une compétitivité fragile. La vision c’est celle de l’ouverture des réseaux (nationaux et monopolistes) à la concurrence d’exploitants.

L’histoire

Or l’histoire nous enseigne deux choses. 
·     Le plus souvent la nécessité conduit à des réformes peinant  à régler durablement les problèmes (on pourrait en faire une longue liste, aussi bien au XIXème qu’au XXème siècles), suscitant à nouveau des réformes. 
·     Les visions reposent souvent sur une « théorie » ou une représentation,fortement portée par la technostructure, qui a alors une position dominante[1]. Or,  ce consensus s’avère être rarement indiscutable ou  tout simplement erroné. Ainsi, le montage des années 1930 (SNCF + « coordination des transports » - en fait contingentement de la concurrence) se retrouve à peu près partout dans le Monde, et conduit aux mêmes échecs.
Le caractère stratégique du secteur des transports, et particulièrement du rail (au moins jusque dans les années 1960, sans disparaître aujourd’hui), favorise d’étonnantes convergences idéologiques, non sur le détail, mais dans la représentation du secteur. L’idée par exemple, pour le fret, que les difficultés du ferroviaire découlent essentiellement d’une concurrence déloyale (faussée) de la route existe clairement depuis les années 1930 – ce que bien entendu la prétendue politique de coordination n’a pas altéré -. 

Les illusions durent

Ce qui est intéressant dans cette histoire, marquée par ces quasi consensus technocratiques, c’est que les politiques ne parviennent guère à s’en détacher (ils sont d’ailleurs souvent membres du même milieu), et que, finalement, les alternances permettent de franchir des étapes perçues comme délicates. Ainsi la création de la SNCF, par exemple, est une sorte de compromis entre ce qui était le fonds commun et l’intervention croissante de l’Etat, et la « Nationalisation Industrielle » prônée alors par la CGT et Jules Moch (SFIO).
Malheureusement il faut des années pour parvenir à une analyse plus « objective » des réalités. Les illusions (institutionnelles, réglementaires, etc..) durent, et expliquent la redondance des réformes.  Rendons - nous compte : l’incompréhension de la crise du rail des années 1930 produit pratiquement 50 années de réglementation inefficace, et empêche la SNCF non pas de se moderniser techniquement, mais de réfléchir à son modèle économique.  Combien de temps aura-t-il fallu  pour comprendre (admettre) que la tarification monopoliste ad-valorem  du fret avait participé non seulement à sa crise dans les années 1930 mais aussi à ses difficultés ensuite.
Ainsi donc la réforme actuelle – je veux dire celle qui sera bientôt présentée au Sénat – serait elle aussi le fruit d’une nécessité et d’une vision. Mais il ne vous échappera sûrement pas que ni la nécessité ni la vision ne font l’objet d’un débat, et surtout d’une confrontation sur le plan de l’analyse économique. 
Nous sommes dans une logique de l’évidence, du « donc ». Il faut « donc ». Ce qui a l’avantage de ne souffrir aucun débat. Or l’histoire des transports nous enseigne qu’il serait judicieux d’être plus prudent. Cette absence de regard sur les choix passés et d’analyse des échecs aboutit logiquement à ne plus avoir d’esprit critique, et, accessoirement, à ne vouloir rien concéder à la négociation, puisque ni une nécessité ni une vision ne sont négociables. C’est bien tout le problème. 

P.S.


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[1]Qu’on retrouve dans les compagnies, l’appareil d’Etat, l’administration, le personnel politique et parfois syndical.

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