#SNCF Statut et gouvernance : quel rapport avec le problème du rail ? C’était la réponse disponible dans la corbeille c’est tout !
Anticiper et négocier… on ne sait pas faire
Pourquoi donc l’État français a-t-il tant de mal non seulement à anticiper, mais aussi à négocier les évolutions consécutives au marché unique ?
J’avoue me poser régulièrement cette question. Qu’il s’agisse de transport routier, ferroviaire ou maritime, on a connu de tristes épisodes où à une politique consistant à jouer la montre succède ou risque de succéder une issue dramatique. La gestion du secteur public est un peu indexée sur le même tempo. Édredon, puis chambardement. Qui plus est l’État prend souvent ses décisions en deux ou trois temps, et de manière contradictoire.
On peut mettre en cause les entreprises elles-mêmes. S’agissant du secteur public les compagnies maritimes sur la Manche ou en Méditerranée ont dû mettre la clef sous la porte. On ne sait guère ce qu’il adviendra in fine du fret ferroviaire et a fortiori des filiales fret du groupe ferroviaire, et le pavillon routier périclite derrière le bouclier protectionniste qu’il croit que l’on fabrique pour lui.
Il ne s’agit pas de faire mine de croire que tout est simple, mais d’affirmer que s’il on anticipe et défend des politiques efficaces et cohérentes, j’allais dire démonstratives, on a plus de chances d’aboutir. Ceci est d’autant plus problématique que, comme un mauvais élève, les politiques françaises sont régulièrement condamnées soit pour non-respect des règles européennes, soit pour pratiques discriminatoires. On peut espérer mieux pour être pris au sérieux. Mais on peut s’interroger sur les responsables : le management, l’État, les syndicats, que sais-je encore… ?
Accepter le changement nécessite anticipation et négociation
Mais regardons les choses en face. L’acceptation du changement est d’autant plus facile qu’on anticipe les chambardements à venir, et qu’on en négocie les modalités et le rythme. Chose qu’on ne peut pas faire lorsque, ouvertement, les gouvernements défient la loi européenne qu’ils ont contribué à adopter. Ainsi en a-t-il été de la continuité territoriale Corse et de la SNCM par exemple. Mais aussi du dossier du Sernam, et de quelques autres. D’ailleurs on peut s’interroger sur l’intéressant alibi que constituent alors les syndicats.
Premier acte ils sont mis en avant pour retarder les échéances et tricher, puis, second acte, naturellement on les désigne comme responsables de l’immobilisme. Génial. Cette pratique si courante en France est bien entendu politiquement sécurisante. On repousse l’échéance donc le risque de conflit. Sauf que le conflit finit par intervenir et parfois de manière plus radicale dans un climat de crise.
Démagogie, attentisme et technostructure : l’édredon puis la crise
Si les politiques manquent parfois de discernement, ce peut -être par la magie d’un mélange de démagogie et d’opportunisme. Mais on peut s’étonner en revanche des recommandations qui leur sont faites. D’abord au niveau de leurs cabinets, puis de leur administration. Lorsque, par hasard (qui n’en est pas un !) les trois strates sont issues du même monde il y a alors un risque profond : celui d’une pensée et d’une perception unique. C’est alors que la pensée technocratique monolithique doublée d’une prudence démagogique génère un schéma mortel : l’édredon puis la crise, et la fuite en avant avec des mesures abstraites.
L’un des problèmes essentiels tient, à mon sens, à la technostructure qui domine l’appareil d’État et les grandes firmes – y compris les banques – la déficience de sa capacité d’analyse stratégique, sa méconnaissance du terrain, et son absence de pragmatisme. Ça fait beaucoup direz-vous, le costume est largement taillé !! Pas tant qu’on pourrait le croire.
Il suffit de connaître, fréquenter, analyser les pratiques de la haute fonction publique et des grandes entreprises nationales, pour s’en convaincre. Ce qui servait de moteur et de mouche du coche jadis – je veux parler du Plan et de ses groupes de concertation – ayant disparu, nous laissons ce petit monde vivre en petit groupe, et se nourrir des idées à la mode de leur univers. Regardez comme des mots envahissent cet univers. Qui parlait, il y a peu encore de gouvernance ? Pourquoi se focalise-t-on sur tout ce qui est protecteur des salariés et « statutaire » au détriment de toute analyse économique ?
Le conflit SNCF révélateur ?
L’un des éléments révélateurs du poids des représentations et des idées reçues peut être tiré du conflit SNCF de 2018. Il a été affirmé dès le début que l’écart de compétitivité lié au statut entre la SNCF et ses concurrents était de 30 %, chiffre avancé par la SNCF, repris dans le rapport Spinetta, et livré à la presse. Or un calcul simple permet de douter de l’ordre de grandeur.
L’Épic Sncf Mobilité dépense pour son personnel environ 5,5 milliards d’Euros pour un chiffre d’affaires de 15,8, soit 34 % environ. Autrement dit, ce fameux écart représente à peu près la totalité des charges de personnel. C’est bien entendu absurde. Les chiffres pour Sncf Réseau laissent presque autant rêveurs. 6,5 milliards de chiffre d’affaires, 5,5 de valeur ajoutée, 3,6 milliards € de charges de personnel, soit 55 %.
On peut bien entendu s’interroger sur l’adaptation du statut, sur son effet sur l’organisation productive, sur sa rigidité éventuelle, ou au contraire sur les économies qu’il rend possible par rapport au droit commun. On peut d’ailleurs le modifier, le réformer... Mais se contenter de répéter comme des vérités des ordres de grandeur fantaisistes résulte bien d’un entre-soi curieusement aveugle.
On peut prendre le problème autrement
Mais soyons honnêtes, on peut parfaitement prendre le problème autrement, et déclarer qu’on peut augmenter – singulièrement – la productivité du système ferroviaire, et changer ses produits. Or dans cette affaire c’est plus le modèle économique, le jeu des tarifs, de l’organisation productive, des techniques utilisées, de la qualité même du réseau et de son management (contrôle/commande…) qui joue.
Autrement dit c’est une affaire de management et de stratégie et non de statut (ni de l’entreprise ni des personnels). On peut s’étonner qu’à un problème économique évident on ne sache répondre que statut du personnel et gouvernance d’entreprise. Car soyons clairs. Il est parfaitement possible d’évoluer, de rénover la stratégie et le management, dans le cadre de trois établissements publics et de leurs filiales. Or la méthode consiste à le dire impossible. Pourquoi donc ?
Il est évident que l’incrédulité nous envahit. Même en chargeant les politiques – pour leur démagogique attentisme – et en considérant les technocraties comme parfaitement imperméables à l’analyse des réalités, on se demande comment les uns et les autres ne sont éclairés par l’image en retour des réalités (toujours rebelles), la fameuse rétroaction avec le réel. Mais encore faut-il voir (et écouter) le réel. Or c’est difficile, parce qu’en toute chose, une bonne bureaucratie doit toujours avoir la réponse disponible avant mêmeque la question ne soit claire. Et si dans cette affaire comme dans d’autres, les solutions étaient déjà définies avant même que le problème ne soit analysé (et a fortiori discuté). Au diable les diagnostics partagés !
C’est l’avantage du « Garbage Can ». On empile pour ainsi dire des couches d’idées technocratiques abstraites, fournies par la mode ambiante, et il ne reste plus qu’à rechercher dans la pile, le moment venu, les idées – on appellera réformes ou « pacte » – qui collent le mieux. Ainsi à la question concernant la concurrence à venir, on répond statut et gouvernance. Ça n’a aucun rapport ? Mais si ignares que nous sommes ! C’était la réponse disponible, c’est tout. D’ailleurs, ça marche en termes de communication. L ‘énoncé de solutions simplistes a le mérite de la simplicité. Au moins on peut stigmatiser sans trop comprendre ! D’ailleurs le propre des politiques « modernes » est de s’attacher à une ligne, largement idéologique, plus qu’à la recherche pragmatique de solutions partagées.
P.S.