Desserte maritime #corse : Le tumulte risque de se prolonger



La Collectivité de Corse (Assemblée extraordinaire des 26 et 27 juillet 2018) a adopté le principe du futur dispositif organisant sa desserte maritime.

En pratique, les textes proposés ne définissent que partiellement ce paysage, ils prévoient :

1. Que la DSP actuelle est prolongée de 4 mois, ce qui met leur échéance à la fin de septembre 2019 ;

2. Que le principe de DSP de 15 mois (!) à compter d’octobre 2019 concernant le service public ligne par ligne pour l'exploitation des services de transport maritime de marchandises et de passagers entre le port de Marseille d'une part, et les ports de Bastia, Aiacciu, Portivechju, Prupria et Isula. Ce qui signifie qu’on se donne un peu plus de temps pour mettre en place les « compagnies régionales ».

3. Des Obligations de service public (OSP) relatives au transport de marchandises et de passagers entre les ports de Toulon, Marseille et Nice, et les ports de Corse pour une période de 10 ans à compter d’octobre 2019.

• Le dispositif mis en place va susciter de nombreuses critiques. En effet, on peut s’interroger tout d’abord sur le véritable intérêt qu’il y a à proroger les actuelles DSP, puis d’en mettre en place pour 15 mois, alors que parallèlement, on définit des OSP plus contraignantes que les OSP actuelles pour 10 ans, ce qui a par ailleurs de modifier l’équilibre sur lequel s’était fondé l’Office des Transport pour définir le contour des futures DSP. Ces nouvelles OSP – assez largement non justifiées viennent impacter directement et sans justification l’organisation de la desserte actuelle de la Corse, en modifiant les contraintes de desserte de période creuse en considérant des liaisons désignées, et en excluant des dessertes avec escales. Il est évident que cette modification – qui est de nature à modifier le test de marché sur lequel se fonde le projet de DSP – est de nature à modifier l’équilibre du marché et de créer des conditions déloyales de concurrence.

• On peut s’interroger par ailleurs sur le « test » de marché, destiné à déterminer le besoin de service public et les conclusions qui en ont été tirées.

(Je passe ici sur les annexes techniques mettent en scène un curieux règlement de compte entre l’OTC et Corsica Ferries sur fond d’erreurs éventuelles. La discussion est d’autant plus étonnante que les graphes présentés de part et d’autre sont similaires et les équations parfaitement réversibles.)

S’agissant du test lui-même, il y a trois séries de discussions importantes :

1. En premier lieu celle qui concerne la définition même du besoin de service public. La méthode retenue pour évaluer le besoin quantitatif est fort contestable. L’objectif du test est en effet d’estimer s’il existe un besoin « dans des conditions normales de marché ».Il est donc totalement inadéquat de l’estimer, comme le fait le rapport, en calculant « la différence entre les flux de PAX et de fret effectivement constatés et l’offre capacitaire théorique des compagnies hors DSP[1] ».J’irai même plus loin, l’absence d’offre étant consécutive aux DSP, le « besoin » est la conséquence de celles-ci et non des conditions normales de marché. Cette méthode est donc de mon point de vue un maillon extrêmement fragile du dossier.

2. Il reste que l’analyse débouche sur trois conclusions

a. La première est qu’il n’existe pas de besoin quantitatif en ce que concerne les passagers,à l’exception de Propriano. Cette conclusion repose sur un calcul mettant en lumière partout - sauf sur la ligne desservant Propriano - un excédent de capacité pour les passagers. Le cas de Propriano est intéressant. Pour le rapport, « il existe toujours une carence de l'initiative privée qui justifie une intervention publique dans le cadre du versement d'une compensation financière pour l'exécution des sujétions de service public ». Ce constat résulte de l’absence d’offre privée hors-DSP que l’on peut relier à l’existence d’un service sous DSP et au faible niveau de trafic. Cet argument ne semble donc pas pertinent, ce qui ne retire rien au fait qu’il puisse y avoir un besoin de service public en l’absence d’offre sous DSP. Reste à justifier du refus d’un service avec escale.

b. La seconde est qu’il existe un besoin quantitatif pour le fret. L’analyse est ainsi résumée : « Les compagnies en situation de libre concurrence ou opérant dans le cadre d’OSP légères ne sont pas en mesure de répondre spontanément à la demande des utilisateurs en termes de volume de marchandises, à destination et en provenance des cinq ports corses. L’offre capacitaire de l’initiative privée ne permet pas de répondre au volume global de la demande des utilisateurs en matière de fret, par ailleurs en croissance importante depuis ces cinq dernières années". Cette affirmation résulte pour l’essentiel d’un calcul et du fait « qu’aucune compagnie ne démontre qu'elle exercerait spontanément une activité de transport de marchandises au départ du port de Marseille ou de Toulon sans compensation financière, tout au long de l'année et à un volume de marchandises capable de répondre à la demande des utilisateurs ». Et pour cause, il existe parallèlement une offre majeure sous DSP depuis Marseille! Mais cette absence de démonstration d’offre spontanée découle directement des contraintes imposées (horaires, absence d’escale, usage implicite de cargo-mixtes), qui se traduisent par un réel sur-coût de transport dont l’évaluation économique n’est pas faite. La démonstration bute donc sur deux écueils : l’absence effective de marché libre sur Marseille, et l’absence d’étude ou d’interrogation relative à des services Ro-Ro purs.

c. Enfin, et c’est très important l’analyse de l’OTC tire pourtant la conclusion que « dans la mesure où la plupart des navires qui exploitent des lignes Corse-continent sont des navires mixtes, les contraintes et exigences horaires propres au transport de marchandises se répercutent sur le transport de passagers. »

Du coup, il est proposé« de maintenir le transport de passagers dans le périmètre des conventions de délégation de service public. » On en arrive donc à imposer la non dissociation des services et, la péréquation de leurs coûts, et, ce qui est discutable des contraintes d’exploitation non évaluées.

L’ensemble de ces conclusions conduit donc à définir des DSP ligne à ligne intégrant les passagers mais sans compensation (sauf pour Propriano).

Il apparaît donc assez nettement qu’une fois encore, hélas, les conditions d’organisation des transports maritimes de service public entre la Corse et le Continent pourront faire l’objet de vives critiques, et ce qui est plus grave, de contestations juridiques, et de demandes d’indemnisation. Un luxe que, peut-être, la Corse devrait tâcher d’économiser.

Ce que j’ai appelé une tumultueuse histoire risque donc de se prolonger. Hélas.

[1]Dans un premier temps le texte présenté par l’Office des Transports présentait une capacité inférieure au trafic réalisé pour l’un des opérateurs. Ce qui a suscité, naturellement, un débat technique.

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