Sortir du mirage du #transport #combiné #rail-route (pour le développer)



Jadis…

Entendons-nous bien. Je suis favorable au développement du transport combiné rail-route, et ce d’autant plus que, de longue date (début des années 1980) j’ai eu à batailler avec la SNCF pour faire admettre l’intérêt stratégique du combiné pour le ferroviaire, et proposer de développer une stratégie active dans ce domaine et une tarification incitative et cohérente de la part de l’opérateur ferroviaire (Commission Frybourg, 1985). 
Pour qui a la mémoire courte, trop longtemps, alors que le fret traditionnel, pondéreux, baissait, la compagnie ferroviaire avait du mal à admettre que le fret manufacturé pouvait naturellement trouver avec le combiné un moyen de rester, et plus encore de revenir au rail. Question de « contribution » nous disait-on, fruit magique du direct-corsting comptable de la SNCF. 
 Je ne souviens de groupeurs ferroviaires pénalisés par leur recours au combiné (sorti de leurs ristournes), de trains directs rapides de conteneurs de fruits et légumes sur Rungis depuis Perpignan interdits, de débats difficiles sur la rentabilité du combiné et la frilosité des opérateurs.  
Les lentes avancées opérées, puis la restructuration du système d’aide, ont permis de faire croitre considérablement le combiné, avant qu’il ne régresse brutalement. 




Trou d’air 

Or, ce recul brutal (!) est rigoureusement parallèle à celui, plus global du rail chez nous. Dans le même temps, ou à peu près, les deux opérateurs dominants français, Novatrans (dit de fonds de commerce routier) et la CNC (devenue ensuite Naviland, fonds de commerce dit ferroviaire), ont connu une grave crise.  Juste avant le grand trou d’air, la SNCF abandonne en 1995 le projet Commutor (système de transbordement rapide et automatique de conteneurs), mais met en place la notion de point nodal (et accessoirement le caténaire escamotable).  Sans effet. Mais l’abandon stérilise pour longtemps la capacité d’innovation du fret ferroviaire et... l’enthousiasme.
Curieusement, après cette effervescence intellectuelle sans suite, les ambitions changent. On parle de trains longs, on s’essaie mollement aux itinéraires dédiés, et on butte de plus en plus sur les réalités du marché et de l’exploitation ferroviaire, que l’envolée des transports de passagers met à mal, et sur la pénurie de locomotives (ce qui aboutit à en dédier au fret).
C’est aussi pendant ce trou d’air que la SNCF – poussé par le Ministère ( ?)-  a apporté son soutien à la mise en place de services dits d’autoroute ferroviaire, initialement sur les Alpes, et désormais gérés par une de ses filiales, VIIA, avec du matériel Modalohr. En 2001, on lit dans un rapport établi pour le CNT, sans doute un peu vite, que Modalohr « permettrait de supprimer des installations spécifiques, comme les chantiers de transbordement.». Un rêve qui était celui du RoadRailer, vite testé et abandonné
L’idée semble donc (!) s’imposer que les terminaux Modalohr sont «légers», négligeant leur coût et leur emprise au sol tout autant que les temps réels de chargement-déchargement. Rappelons encore ici que l’optimisme –  dont on ne sait trop sur quoi il est fondé – consistait à accréditer l’idée que la toute nouvelle Aiton-Orbassano accueillerait « 20 à 30 navettes par jour, chacune pouvant transporter 28 camions, lorsque les travaux en cours pour agrandir le gabarit des tunnels existants seront achevés. » (rapport Haenel Gerbaud de février 2003).Dans le même temps, l’idée d’accepter en France des wagons à petites roues (comme chez nos partenaires) fait long feu. 
D’un coup, la France se meut en promoteur de l’autoroute ferroviaire à longue distance, alors que partout cette idée n’est appliquée qu’aux franchissements (montagnes, mer). Curieusement alors que la part de marché du combiné s’écroule en France, on présente ce nouvel axe comme de nature à «élargir la part de marché du ferroutage» (dossier de presse de l’inauguration de Perpignan Bettembourg en 2007). Comme toujours, les perspectives avancées sont très optimistes ou ambitieuses. On parle alors de 10 trajets quotidiens sur ce nouvel axe en 2013/14. Il faudra y ajouter du combiné traditionnel.

Le mirage

A peu près dans le même temps – après la fin des années 1990 - se sont empilés des rapports sur le transport combiné dont l’effet est totalement invisible sur les courbes de trafic, pas plus que les grandes déclarations des ministres de majorités différentes. Je rappelle qu’on parlait de doubler voire de tripler le combiné rail-route. 
Et, bien sûr, il y a eu la sombre période de dégradation de la qualité des sillons et des services, dont la SNCF a eu du mal à sortir et semble avoir rechuté dans la dernière période. 

Ce qui me choque, c’est que cet épisode douloureux n’a finalement débouché que sur le déploiement de nouveaux projets d’autoroutes ferroviaires Modalohr, ce qui revient finalement à trois choses : 
-      Ne plus (ou peu) se concentrer sur le combiné traditionnel (caisses et conteneurs) ; 
-      S’intéresser principalement au marché de la semi (non préhensible par pinces)
-      Privilégier la technologie Modalohr.
Le caractère singulier de cette stratégie reflète malheureusement une panne dans la capacité d’analyse de la situation du fret en France. 
Or, grosso modo, en dehors des franchissements d’obstacles (Alpes, Manche) le combiné est aujourd’hui quelque chose de fort simple. 
Il s’articule en deux grandes catégories :
-      les trafics de masse tirés ou poussés par de gros pôles (ports, métropoles) nécessitant de grands terminaux commodes, bien connectés, et des lignes disposant de sillons nombreux et de qualité,
-      les trafics de faible intensité, s’organisant autour de terminaux légers, utilisant des moyens rudimentaires et robustes, disposant d’une desserte régulière de qualité.

Dans les deux cas, les hinterlands du combiné sont faibles aux deux bouts (limitation des parcours terminaux), et les distances entre terminaux sont généralement suffisamment grandes pour amortir les coûts de manutention et les surcoûts de brouettage. 
L’analyse des installations actuelles  et de leur desserte montre que leur réseau n’est pas satisfaisant, et que les installations sont rarement optimales.
Au niveau européen, chez nos proches voisins, les coûts de manutention tourneraient (selon l’étude  « Gathering additional data on EU combined transport » (TRT trasporti e territorio e MDS transmodal) UE, 28/2/2017), à une somme compriseentre 37 et 50 € de moyenne avec des planchers autour de 18 à 20€/manutention. Plus les systèmes sont compliqués et comportent des manutentions ou parcours parasites (ports), plus les coûts de passage sont élevés. La variabilité des coûts existe donc à l’intérieur de chacun des pays et entre pays (en Allemagne elle varie pour le rail-route entre 22 et 200 €). Il n’y a donc pas de spécificité particulière du système français de ce point de vue. Mais on ne semble pas avoir d’analyse ni de projet dans ce domaine.
Or, le système actuel, rationalisé vers le milieu des années 1970 avec des trains entiers d’axe en saut de nuit, a perdu une partie de son fonds de commerce traditionnel et se heurte à différents obstacles liés à son modèle productif. Il fabrique des pointes au départ et à l’arrivée, nécessite un équipement et des surfaces importantes, pour acheminer finalement peu de trains par jour sur peu de lignes. Par ailleurs, il ne sait pas desservir des points intermédiaires, à la fois en raison de ses horaires, mais aussi de son mode d’exploitation avec ses manutentions lentes dans des terminaux en cul de sac nécessitant des faisceaux de manœuvre.  En gros, le combiné ne peut s’adapter ni à la géographie du transport de produits manufacturés, ni aux fréquences et aux horaires du transport routier.  On peine à bien faire le massif, et on néglige le low-cost simple. D’où ce mirage : le combiné ne parvient plus à capter de parts de marché significatives, mais ne peut pas non plus escompter le faire, d’autant que les sillons sont rares et comptés. Le rail n’est donc plus un transport de masse. Autrement dit il y a un vrai mirage autour des objectifs ambitieux de parts de marché du rail.

On est donc actuellement quelque peu « bloqués » par une réflexion qui ne veut s’emparer du problème ni par le marché du fret (demande) ni par le bout de l’organisation productive (que peut donc être une offre attractive répondant à la demande). 
On continue donc à tâcher d’écrémer un marché – ce qu’on parvient à faire coûteusement, comme le souligne la Cour des Comptes – en élargissant le cible (route roulante), et on caresse l’illusion que des taxes pourraient orienter les trafics vers le rail, alors que les expériences en la matière montrent qu’il n’en n’est rien. 
Or, idéologiquement ce discours fait des ravages en entretenant l’illusion d’une solution à la question du report modal (ce qui, soit dit en passant, n’est pas, loin de là, la seule réponse aux défis environnementaux !), et en créant des déceptions et du ressentiment.
Le fret ne fait pas preuve de mauvaise volonté en ne donnant pas quitus à une offre inadaptée, il attend simplement qu’une stratégie viable et économique s’offre à lui. Tout sauf un mirage. 


P.S. 

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