#Grand #Débat #National : de gros doutes !

Ceux qui ont eu, professionnellement à animer des tables-rondes, comités et autres commissions visant à aider à contribuer à la définition de politiques publiques, connaissent la difficulté et les limites de la chose. Et les conditions préalables à remplir pour améliorer le processus. Vu le nombre et le caractère général des thématiques du grand débat, on peut raisonnablement douter de l'efficacité du processus engagé. Enfin sur le plan des politiques publiques... à moins que l'objectif soit ailleurs. Mais alors, là aussi, le chemin risque d'être rude.
Un exemple passé nous rappelle les limites du processus  Les consultations organisées sur l’Europe en 2018 ont parfaitement montré qu’il était très difficile de passer d'une idée générale à une politique cohérente et crédible. Sur les questions de la transition écologique figurent ainsi dans la synthèse des orientations parfois crédibles et parfois désarmantes, reflétant plus des représentations erronées de la réalité qu’un travail résultant d’un débat public éclairé. Oui, il est possible, via ce genre de processus très court de débat citoyen, de façonner une sorte de consensus vague autour de thématiques et d’orientations grossières. En aucun cas on ne peut faire émerger une politique publique consensuelle ou des réponses cohérentes à des revendications.  On ne le veut d’ailleurs peut-être pas, en bornant d’emblée l’objectif : il ne peut s’agir de remettre en cause ce qui a été fait et ce qui est prévu par l’administration d’Emanuel Macron.
Commissions, comités, débats : sans éclairage des choix et le pluralisme des éclairages que peut-on attendre ? S’agissant du processus engagé, je ne vois pas véritablement comment dépasser un écueil majeur : on peut organiser des débats sur des principes généraux, ou à l’opposé des questions très précises et locales, mais sur des politiques complexes il faut passer par un temps d’élaboration long et nécessitant la sollicitation d’éclairages multiples de la part de personnes ayant une certaine expertise. Il faut éclairer les choix possibles qui ne se résument jamais à "oui ou non". Jadis, dans les commissions spécialisées des partis politiques le travail d’élaboration demandait parfois des années de travail, de débat, de confrontation. Il n’y aura donc pas de grand débat national sérieux sur des politiques publiques, mais on contribuera à la fabrication de thématiques générales dont personne ne sera en mesure de dire quelle est leur légitimité politique ou démocratique, ni d’ailleurs la cohérence. Pour avoir eu à animer des groupes de travail ou des commissions spécialisées sur des politiques régionales ou locales, une évidence m’a convaincu des limites d’un exercice aussi peu organisé : sans éclairage contradictoire, sans travail technique élaboré à la demande des citoyens devant débattre pour les aider à comprendre et arbitrer entre des choix possibles, on plonge dans un mélange de principes abstraits et de décisions microscopiques. Et plus les thématiques sont larges, plus on risque la confusion.  Et puis soyons aussi attentifs. Il est extrêmement facile à la technocratie de transformer radicalement des propositions et de les dénaturer.  Éclairer les citoyens L’une des questions est, en matière de décision publique, de donner des éléments aux citoyens comme aux décideurs leur permettant de mesurer, d’estimer ce qu’il risque de se passer en fonction de diverses décisions ou politiques possibles.  Or, il y a rarement consensus sur ces conséquences, bien au contraire, et singulièrement sur des politiques fiscales ou sociales. En revanche, un éclairage pluraliste peut permettre une décision en meilleure connaissance de cause. Il est très facile en effet de trouver des consensus sur des orientations en demeurant dans le brouillard. Ainsi, par exemple, on peut faire adopter le principe de l’Ecotaxe sans grande difficulté. Moins facilement celui d’une hausse de taxes sur la consommation des citoyens (taxe carbone). Et n’oublions jamais de nous intéresser à «qui parle». Les citoyens sont aussi des personnes économiquement et socialement déterminées. Il est par conséquent beaucoup plus intéressant de recueillir des avis sur la base d’un éclairage plus global. Que va-t-il se passer ? Est-ce que cette décision changera quelque chose ? Comment ? Quel est l’impact social attendu ? L’impact écologique, économique, territorial, etc.. Quelle politique propose-t-on en parallèle ?  Là tout devient plus complexe, demande des éclairages multiples, des simulations, des débats techniques.
On peut prendre à témoin les citoyens de nos propres questions, mais il est indispensable de leur donner des éléments de jugement, de les saisir de nos incertitudes, de nos divergences d’experts (quand nous parvenons à l’être). Des enjeux. Sinon, la manipulation idéologique est facile. Limites Quel sens cela aurait-il de faire trancher par des conférences citoyennes des débats sur de grands projets d’infrastructure. Voulez-vous le Grand-Paris-Express ? Lyon-Turin, Seine-Nord ou encore un grand programme de ferroutage européen ? Honnêtement, sur quelle base, avec quelles informations, et quel pluralisme se prononcera-t-on ?  On voit bien la limite du processus. Je le répète sans informations et sans analyses contradictoires, il ne peut y avoir de décision publique rationnelle. Dans le domaine fiscal et celui des dépenses publiques le même problème se pose de même, d’autant que la désinformation, ou les idées simplistes sont légion. Ainsi mélange-t-on régulièrement dépense et valeur ajoutée publique pour parler du poids de la sphère publique en France. Cela fait en effet 40 ans que la part de la Valeur Ajoutée publique dans le PIB est quasi stable alors que les prélèvements obligatoires s’envolent.  Les dernières mesures annoncées ont d’ailleurs pour conséquence non d’augmenter la sphère publique mais des transferts sociaux qu’il faudra bien financer un jour. Le bons sens des citoyens les amène à dénoncer à la fois la pression fiscale accrue (et éventuellement plus injuste) et le décrochement du service public. Et on va les faire débattre de quoi, comment ? Ce qu’on présente comme contradictoire est en réalité le cœur d’une politique. Ainsi la façon de faire évoluer la fiscalité incarne parfaitement cette politique : on taxe plus – pour envoyer des signaux prix- quitte à en compenser les conséquences sociales.
Traduire la colère en solutions : Traduire ? La volonté de « traduire la colère en solutions »est bien entendu compréhensible et explicite. Pour autant ça ne donne aucune garantie. Outre que la fabrication d’une politique ne peut découler de simples doléances, encore faut-il s’entendre sur le terme de traduction. Il est probable que le gouvernement veuille pouvoir interpréter le sens de la colère (en gros passer d’un message en « langue gilets-jaunes » à des « mesures » gouvernementales). Mais la chose n’est pas évidente tant les revendications portent sur la politique engagée par le gouvernement depuis 18 mois. Traduire c’est aussi donner un sens politique à cette colère que le gouvernement puisse s’approprier. On connaît le logiciel dédié à cette fonction. C’est celui, classique de « l’héritage de trente années ». Mais à force d’être disruptif il prend le risque d’être englobé dans l’héritage.  On le sent bien, ce débat a nécessairement des limites techniques aussi bien que politiques.  Incapable de mettre en œuvre un travail d’élaboration politique dans un tel délai et avec de telles méthodes, on sera incapable de traduire grand-chose, dans la mesure ou le mouvement des gilets-jaunes est en opposition « politique » aux dogmes du macronisme. Il en dénonce les effets concrets, économiques et sociaux, autant que symboliques. On risque donc de voir émerger quelques mesures symboliques, « sacrificielles », et pour l’essentiel un « ripolinage » politique, c’est à dire la reconstruction éventuelle du langage macronien. C’est oublier que tout ne se joue pas sur ce terrain, le ressentiment étant issu de la réalité sociale.  Pas de quoi être optimiste.

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