Comment se fait-il que le #gazole soit plus cher en #Corse que sur le continent ?

Comment se fait-il que le gazole soit plus cher en Corse que sur le continent ?
Commençons par deux questions fréquentes.
Il n’ y a pas de pompes de la Grande distribution (GMS)…
Vrai, mais en Corse on est 10c/litre plus cher que dans les pompes traditionnelles du continent.
On a aussi des surcoûts liés à l’insularité rétorque-t-on !  
Vrai aussi ! Mais ces fameux surcoûts (transport maritime et dépôt pétrolier de Corse) ne représentent que 4,4 centimes €,alors que la Corse paie moins de TICPE et dispose d’un taux de TVA moindre (13% contre 20%). Et cet avantage compense largement ce surcoût, puisqu’il représente environs 7,5 c€/l de gazole. On devrait donc sur cette base payer moins cher que sur le continent. Or on paie plus cher
Alors que reste-t-il ?
Eh bien une marge totale de distribution (hormis les surcoûts) qui représente plus de 18,3 c€/l (et peut-être plus de 26,3c/l en intégrant la partie hors de Corse) contre moins de 16 sur le continent et moins de 10 pour la grande distribution). Et en plus il y a eu une augmentation – inexpliquée – de l’écart entre la Corse et le Continent de plusieurs centimes ces dernières années.
Les stations-services
On parle bien entendu du nombre de stations en Corse, et de leur plus faible débit que sur le continent. C’est une réalité. Mais il faut dérouler le raisonnement jusqu’au bout. En Corse, il faut gérer une forte saisonnalité. Dans certaines communes, la circulation en été est de 6 ou 7 fois ce qu’elle est en hiver. Il est donc logique de disposer d’une capacité d’approvisionnement surdimensionnée. Or, personne n’en examine le coût réel !  
Et puis, un calcul simple nous amène – sur la base de ce raisonnement « en moyenne » – à dire qu’il y a environ 30 stations de trop en Corse.  Ce qui représenterait un gain attendu théorique qui tournerait entre 5 et 10 millions €, avec une perte à la clef d’au moins 30 à 60 emplois. Mais la question est surtout de savoir comment on atteint une telle « rationalisation »du marché, et comment on gère la pointe estivale. D’où l’argument de l’introduction des GMS dans le jeu. Encore faut-il qu’elles le souhaitent. Je n’en suis pas certain du tout. Et ça ne règle pas tout, et surtout pas la nécessaire surcapacité pour faire face au tourisme.

Les marges réglementées ou la transposition de la loi Hurel ou du système belge
La comparaison avec les marges réglementées dans les Antilles ou la Réunion est intéressante. On trouve en effet dans ces îles des marges de distribution tournant autour de 18 à 24 c €/l. Dans une autre contrée où les prix sont réglementé – la Belgique - cette marge est de 18 c€/l de gazole – à peu près donc celle de la Corse, hormis ce qui serait capté en amont -. 
Reste bien entendu à analyser la répartition de ces marges et leur justification.  Les marges de gros, aux Antilles varient entre 6 et 6,5 c€/l, elles sont d’un peu plus de 9c€/l en Guyane, et 12 c€/l à la Réunion. Ce qui laisse des marges de détail autour de 11 à 13 c€/l pour les pompistes. Un ordre de grandeur qui serait celui observé en Corse (on parle de respectivement 6% et 12,3%). Avec naturellement des différences d’une station à l’autre.
La réglementation ne change donc pas grand-chose. Pas plus en Belgique que dans nos DOM-TOM, et en tout cas pas par rapport au cas Corse.  
La fiscalité
L’idée de diminuer la pression fiscale (jusqu’où ?) peut passer soit par une simple modulation des accises en fonction du cours du pétrole (ou des carburants), soit par une diminution pure et simple de taxes (TICPE ou TVA). La première solution revient à utiliser la fiscalité pour réguler les prix à la pompe, et a une limite évidente : si le prix du baril doublait ou triplait, on ne pourrait en compenser totalement l’incidence durablement. La seconde est un peu un mirage. Cela revient à faire un transfert, à privilégier la consommation de carburant par rapport à une autre consommation[1]. C’est un choix majeur qui devrait résulter – s’il était possible – d’une analyse globale de la politique énergétique et des transports en Corse (qui bénéficie par exemple de la contribution au service public de l’électricité). On peut vouloir faire un transfert social – comme le chèque carburant - en revanche il est plus discutable de subventionner une énergie qu’on voudrait voir moins consommée. 
Allez plus loin
Il est une discussion qui est généralement un peu éludée, je veux parler de celle de l’organisation générale des chaînes d’approvisionnement pétrolier dans les zones insulaires. 
Il n’est un secret pour personne qu’un opérateur comme Rubis a une stratégie consistant à acquérir (exemple de l’acquisition de Dinasa en Haïti) « une position de leader sur un marché de niches associée au contrôle de sa logistique d’approvisionnement. »Elle vise à disposer « d’un outil logistique d’importation stratégique et autonome (stockage, accès maritimes) et (…) d’une présence sur tous les segments de l’offre de produits pétroliers, avec une position de leader en aviation, GPL, fioul commercial et lubrifiants. »(Source : rapport annuel 2017 Rubis).
Présent en Corse depuis 2009, le Groupe Rubis a acquis progressivement entre 2011 et 2017 une position dominante (Environ 50 % de part de marché) et pris le contrôle du Dépôt Pétrolier de la Corse. Mais, le dernier achat d’EG Retail n’a pas fait l’objet d’une notification à l’Autorité de concurrence du fait d’un chiffre d’affaires sous le seuil de saisine, alors même que ce dernier donnait au groupe plus de 75 % du Dépôt (DPLC) et plus de 50 % des stations-service de l’île. 

L’examen des comptes et rapports annuels permet pour autant de comprendre et analyser cette stratégie, et l’examen des comptes des filiales confirme les politiques de marge sur certains segments, par ailleurs vantées dans les rapports annuels. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, le groupe faite remonter des dividendes sur le Dépôt Pétrolier de la Corse représentant près d’un tiers du chiffre d’affaires. 
Et il n’est donc pas illégitime de s’interroger sur les implications de l’installation du groupe Rubis comme leader sur le marché Corse, comme il l’a fait dans de très nombreux marchés insulaires (Antilles-Caraïbes, Réunion, Haïti, Madagascar, etc.) et en Guyane. 
Ces marchés – sur lesquels le groupe Rubis recherche à la fois conquérir une part de marché importante et détenir des dépôts – parfois en situation de monopole – sont captifs, connaissent souvent un taux de pauvreté important, voire très important, accueillent un tourisme significatif et ont la plupart du temps un commerce extérieur déséquilibré. Même si cette stratégie intègre aussi des paradis fiscaux comme les îles Caïman ou les îles anglo-normandes, la recherche délibérée de positions dominantes sur de tels marchés conduit de fait à rechercher à tirer une rente de populations locales qui sont par ailleurs parfois en réelle vulnérabilité énergétique.
En outre, les mécanismes de concurrence sur ces marchés fermés, sont souvent mis en cause, qu’ils résultent d’ententes supposées (il y a régulièrement des enquêtes ou des interrogations) ou qu’elles résultent du jeu « normal » de la concurrence oligopolistique.
Il est donc nécessaire de s’assurer de ne pas avoir d’excès dans les marges prélevées sur de tels marchés.
Que faire ?
Les enjeux sont connus. En Corse comme aux Antilles ou à la Réunion, compte tenu de la part des ménages corses vivant sous le seuil de pauvreté, la hausse du prix des carburants pèse lourdement, et fragilise les familles.  Le rapport de l’Inspection Générale des Finances sur la Corse[2](octobre 2018) rappelle justement que c’est « la région de France où la part des ménages en situation de vulnérabilité énergétiqueliée aux déplacements est la plus forte, à hauteur de 28 %des ménages contre 15 % en moyenne en France métropolitaine »
Or, depuis début 2015, l’écart de prix TTC du gazole entre la Corse et le continent a augmenté 3 ou 4 c€/l. Nous n’en connaissons ni l’origine ni l’explication, dans un contexte, il est vrai, où les prix « français » (hors taxes et droits) se rapprochent de ceux de ses voisins. Et pour ajouter à l’incompréhension, cet écart a eu tendance à augmenter pendant la période de hausse de prix de 2018.
D’où un enjeu majeur de transparence.
La première exigence est de comprendre. On doit être capables de faire la part des choses entre les facteurs techniqueset les variations de rentes ou prises de marges. La transparence permet d’éviter des dérives « injustifiées », met à jour la stratégie des acteurs, et permet de discuter certains coûts. Mais elle ne règle pas tout. 
Il suffit en effet d’observer la publication des prix réglementés dans les DOM-TOM, et les débats qui y perdurent pour comprendre que la réglementation n’est pas obligatoirement un facteur de concurrence – comme le rappelle utilement l’Autorité de Concurrence de Nouvelle Calédonie[3]-, et n’élimine pas tous les risques de sur-marge. D’une certaine manière, au surplus, elle laisse entière la question de l’ampleur de la marge globale de distribution, dont on a, dans le cas corse, une réelle difficulté à décomposer les maillons. 
Après tout, si le niveau actuel de marge est incontournablepour des raisons qu’il conviendrait d’ailleurs d’expliciter, en s’appuyant sur la spécificité géographique et insulaire, le choix peut être donc soit de le réduire, soit de le compenser, ou d’attendre des jours meilleurs… Mais au moins on peut « cerner » le débat.
Dans ce domaine les voies sont économiques (on ne connaît pas d’autre levier que celui de la concurrence…), ou fiscales (baisse de taxes). 
Ces deux voies ne sont pas gratuites : plus de concurrence ferait disparaître des stations, ce qui n’est pas sans coût social et économique. Et puis, cette concurrence n’aura pas lieu partout. Atteindre le niveau moyen de débit par pompe du continent (hors GMS) signifie concrètement la disparition d’une trentaine de stations… et le résultat en est assez incertain, sans compter ses implications sociales. 
Moins de fiscalité ferait baisser des recettes… et suggère à dépenses constantes, soit un transfert du continent vers la Corse, soit une hausse du reste de la fiscalité sur les corses. 
Le débat mérite d’être posé. Et je veux rappeler ici que personne n’a contesté le fait que la Collectivité de Corse subventionne les équipements d’avitaillement sur l’ensemble des Aéroports. 
Si l’enjeu est de 10 centimes (ou les 6 ou 7 de jadis), il faut en effet trouver autour de 32 millions €. Un ordre de grandeur représentant plus du 1/3 de la part de la TICPE revenant à la Corse, sans compter la part dédiée à la formation. C’est aussi moins de 10% de la totalité des recettes de la Corse au titre des transports. 
Or la concurrence ne ferait pas gagner beaucoup plus de 10 millions €.   C’est en effet l'équivalent45 % de la marge des grossistes et détaillants installés en Corse, hors transport routier, qu’il faudrait raboter. C’est inaccessible, du moins à court et moyen termes. 
Il conviendrait donc d’approfondir un peu plus. Le pragmatisme devrait ainsi nous pousser à examiner chaque maillon et à rechercher les économies possibles, qu’il faudrait débattre avec transparence.
Or, la recomposition des coûts ne permet pas actuellement – à ma connaissance - de faire cette clarté, et il s’en faut - sauf erreur - d’environ 7 centimes, peut-être captés avant que le carburant n’arrive en Corse. 



[1]En Haïti, on subventionne massivement les carburants au point que cette dépense dépasse celle des dépenses sociales.  

[2]Pour une économie corse du XXIesiècle : propositions et orientations, IGF, octobre 2018
[3]AVIS n° 2018-A-06 du 29 Août 2018 relatif au projet de délibération visant à̀ modifier la délibération n° 173 du 29 mars 2006 relative à la structure des prix de l’essence et du gazole 


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