Ordre moral #fiscal
Insensiblement on se dirige vers une organisation fiscale qui tend à basculer vers un « ordre moral fiscal » doublé d’une logique générale de tarification.
Vous n’êtes plus ainsi un citoyen payant ses impôts au nom de sa solidarité collective (nationale) en échange d’un droit d’accès à des services publics et des infrastructures, et pour les plus pauvres (?) à des transferts sociaux.
Vous êtes devenus « en plus » un « usager » à taxer en fonction de l’incidence supposée de ses actes. On vous « tarife » les effets externes supposés de vos décisions, voire l’intention cachée derrière vos comportements.
Ainsi, taxe-t-on non seulement l’émission de CO2 (taxe carbone), mais l’acquisition de véhicules émettant plus qu’une norme donnée, et on nous menace de taxer les véhicules particuliers les plus lourds. Ainsi, le Véhicule Utilitaire Léger (VUL) resterait partiellement vertueux, mais pas les « gros » Suv et autres 4X4 ou gros monospaces, suspectés d’être moralement déviants. Peu importent l’usage et les motivations d’achat.
Et là tout change. Non seulement la fiscalité s’est mue en outil d’orientation des choix (ainsi on favorise la spéculation financière et défavorise le capital immobilier), mais devient aujourd’hui un outil de moralisation. La possession est ainsi taxée en sus de l’usage.
Vieux système direz vous justement. On taxe depuis longtemps le camion, et son usage (carburants, péages, ...). On en arrive parfois à taxer les taxes (TVA sur la TICPE), mais tout autant, au nom des mêmes principes moraux ou politiques de dégager de riches niches fiscales. L’impôt devient alors négatif. C’est une prime morale. On vous aide parce qu’on vous a décrété vertueux. Ainsi voit-on proliférer des investissements aux coûts majorés.. mais peu importe.
Tout ceci concourt naturellement à multiplier les pages du code des Impôts (plus de 3700 pages quand même), et à nous empêcher totalement d’en comprendre la logique profonde (qui n’existe pas ou plus... disons plutôt qui n’existe pas), et d’en maîtriser la complexité.
Or tout ceci est doublement révélateur :
D’une part d’une tendance traditionnelle chez nous. Nous savons que derrière chaque problème se cache une réponse en termes de taxe nouvelle. Un problème = une taxe. Fastoche. Le débat autour du financement des infrastructures de transport est de ce point de vue totalement révélateur. Le seul rapprochement entre les recettes fiscales tirées des transport et leur variation conjoncturelle, et les sommes « cherchées » témoigne à lui seul de l’absurdité du raisonnement. D’où un empilage vertigineux. Or la complexité fiscale altère sa cohérence, crée des distorsions, des rentes, des inégalités. Et il est clair que lorsqu’on en vient à taxer une possession « en raison d’un usage supposé », on joue essentiellement avec des symboles. N’est-ce d’ailleurs pas l’objectif. On a toujours besoin de bouc-émissaires.
D’autre part c’est révélateur d’une incapacité à répondre «aux problèmes » par des politiques, c’est à dire des normes, des investissements publics, des stratégies globales. L’illusion fiscale est d’ailleurs vraiment une illusion. On le sait, la manipulation des « charges » produit rarement les effets attendus. Les politiques de « tarification » des usages ne révolutionnent rien sans offre alternative crédible. (Les allemands l’ont vérifié avec la LKW-Maut). Les « nouvelles » taxes stigmatisent, discriminent, génèrent des détournements... et ne constituent en rien un politique positive. D’ailleurs, les arguments moraux et idéologiques sont souvent bien plus forts (et parfois les seuls) que les arguments techniques, économiques et sociaux. La taxe fait son office, certes, en générant une recette, mais la stigmatisation morale est au fond l’essentiel. Elle se substitue à la politique. Ou plus exactement elle compense par le verbe et le prêche son inexistence. Elle a enfin une nature singulière : elle prospère. Etant souvent inefficace, elle génère naturellement un « nouveau besoin de taxe ». C’est la taxation exponentielle, alimentée par un discours moral. La taxation est notre nouvel ordre moral. L’horizon indiscutable de nos actes.
Bien entendu se posera ensuite la question de la cohérence de ce fatras de taxes. Leur liste étant infinie (?) leur cohérence est impossible. Allez, je pose là ce théorème pour conclure.