#Covid19 lectures attristantes
Au fur et à mesure de la crise du Covid19, je me suis pris d’une sorte de passion de lecture d’un type d’articles qui m’étaient inconnus : les articles publiés dans les revues scientifiques de médecine. Honnêtement, il faut non seulement une grosse dose de curiosité, et la volonté acharnée de comprendre pour plonger dans ces articles indigestes. Non que les revues économiques soient toujours plus sexy (encore qu’ils parlent un langage qui m’est plus familier), mais avouons que le côté mécanique des publications, le plan strictement identique d’un article à l’autre, l’absence d’analyse critique des données produites, rendrait le moindre sociologue fort dépité.
Reste que cette lecture m’a fait découvrir de drôles de chose. • La première, la plus grave sans doute, la recherche « aveugle » de tests statistiques démonstratifs, sans questionnement véritable des données et de leurs biais. Avec ce summum indubitable, l’étude publiée par le Lancet (Mehra et alii) qui provoqua une sur-réaction aujourd’hui injustifiable de l’OMS et du ministre français de la santé.
• La seconde réside sans doute dans la découverte de ce que les chercheurs parlent de médicaments, en se souciant parfois fort peu de l’état initial et des traitements reçus pas leur malades en amont, ni même des posologies, parfois fantaisistes (Etude Discovery, Etude Recovery avec un dosage curieux de l’hydroxychloriquine).
• La troisième est au fond que les études (donc au stade des intentions) reposaient sur des « échantillons » statistiques le plus souvent faibles, et parfois non exempts de biais potentiels importants non pris en compte.
• La quatrième tient en une interrogation : mais pourquoi donc personne ne parle vraiment de stratégie de soin ?
Mais mon impression peut-être biaisée. En effet je ne lis pas « toutes » les revues, et n’explore pas l’ensemble des tests.
Le site américain Clinical Trials (https://clinicaltrials.gov) recense en effet plus de 2000 études. Le site Medrixiv, (https://connect.medrxiv.org/relate/content/181) a publié avec Biorixiv près de 5000 articles (parfois, courts, redondants ou identiques il est vrai). Et il est difficile, non seulement d’analyser, même sommairement une telle profusion de documents à vocation (plus ou moins) scientifique.
D’où l’intérêt du projet Covid-Nma (https://covid-nma.com), un projet international impliquant fortement la France, qui vise à faire une « Cartographie du vivant et revue systématique du vivant des études Covid-19 ». Son champ est de son côté, au 11 juin 2020 de plus de 4000 études.
L’intérêt principal de l’outil est de pouvoir faire des tris et des analyses sommaires avant de plonger dans le détail des études (en cours essentiellement).
Ainsi il y a dans la base plus de 1000 études concernant des tests de traitement de patients.
Sur cet ensemble, les essais concernant la fameuse hydroychloroquine (HCQ) sont au nombre de 219, dont 3 sont complets ou terminés, mais portent sur de petits échantillons. 22 sont effectués en France. Parmi eux, curieusement, 2 essais portent sur des malades en situation dite sévère, et 1 en situation dite critique, deux situations où, l’HCQ n’a théoriquement plus d’effet, ni d’intérêt.
Un des plus gros essais, concernant 2770 participants (par l’APHP), porte sur tous types de patients, comparant le couple Hydroxychloroquine et Azithromycine à un placebo. Enfin, d’autres essais concernent plutôt la prévention en direction des personnels de santé.
Le site permet aussi de faire une synthèse rapide des résultats publiés et donne des indicateurs de qualité (robustesse, risque de biais) des résultats. Compte tenu de l’importance du débat sur ce qu’on a appelé le protocole Raoult, il est frappant de voir que très peu d’études randomisées rapportent des résultats sur des patients souffrant d’une affection bénigne ou modérée. En outre des essais portent souvent sur des effectifs faibles. Enfin, les études terminées proviennent uniquement de Chine.
Autrement dit, les recherches dites randomisées menées au moment au la pandémie s’essouffle en Europe, n’ont fourni aucune indication, en dehors de celles provenant, en amont, de Chine.
Ces éléments renforcent donc les interrogations sur l’intérêt face à une pandémie nouvelle et inconnue, de procéder non seulement sur la base d’essais randomisés, mais aussi de faire une entorse majeure à l’éthique, en choisissant d’administrer des traitements sans effet connu (placebo ou assimilés).
Mais la critique va plus loin. Le grand buzz médiatique créé en opposition à la fois aux soins prodigués par l’IHU, et ses constats « observationnels » s’avère reposer sur une absence totale de données (tirées d’essais randomisés ou non), portant sur le protocole retenu.
Ce détour vers la littérature et les bases de données, m’a conduit à un jugement sévère sur la littérature et les projets de recherche médicale dans cette période de pandémie, du moins pour ce qui relève des canons académiques. D’où l’idée qu’il y a un vrai problème.
En premier lieu scientifique : on ne fait pas de la science, mais ce qui ressemble à des calculs statistiques fondés sur des données contestables. .
En second lieu politique et éthique : Quelle obstination à publier ou faire du médiocre ou de l’inutile - publié quand on n’en a plus besoin -, alors que la question majeure du soin face à une nouvelle maladie implique la recherche de stratégies efficaces ! Comme le soulignent justement Philippe Brouqui, Pierre Verger et Didier Raoult (Assay Randomised Controlled Trials during épidemique). : « When even imperfect scientific data show a particularly obvious effect, it is no longer ethical to perform an RCT since it forces patients to accept either not to be treated (in the control arm), or to be treated with a molecule known to be effective. ». Autrement dit, l’éthique médicale interdit de ne pas faire bénéficier un patient d’un traitement possible, et de l’intégrer dans un bras éventuellement placebo, ce qui revient à ne pas tenter de le soigner.
Ces éléments, constats et problèmes, ne sont pas de même nature que ceux rencontrés en recherche socio-économique, puisque ce qui est en cause en amont, est bien l’inadéquation des intentions au problème posé. En effet, la recherche n’a pas pour objet de produire des articles, mais, in fine, en présence d’une pandémie inédite, à aider à orienter les stratégies de prise en charge des malades (ou leur dépistage). De même, par delà les données utilisées, il y a rarement une volonté explicite de produire des informations statistiques représentatives utiles. Encore une fois, ce qui nous choque ici beaucoup, en raison des vies humaines en jeu, fait hélas partie du quotidien dans de nombreux domaines...
Ce constat, s’il est juste conduit à deux interrogations.
La première concerne l’orientation générale de la recherche. La recherche médicale aurait-elle quitté le domaine de la recherche appliquée, ou de la recherche stratégique ?
La seconde porte sur l’appareil d’étude « horizontal » dont disposent les autorités de santé.
Jadis, lorsqu’il existait un « plan de développement économique et social », outre les services du Commissariat du Plan, existaient en général dans les ministères (qui étaient des structures simples et non les monstres actuels), des services d’étude générale, mêlant parfois au mieux production statistique, études générales, études appliquées, et travail d’expertise, de conseil et de prospective et prévision. Ces structures avaient une fonction indépendante des fonctions de tutelle ou d’action, et donc un regard critique. Elles ont aujourd’hui largement disparu, laissant l’appareil d’Etat sans support. Ce rôle, dévolu au Ministère des Transports des années 1960 au « SAEI (Service des Affaires Economiques et Internationales) » s’accompagnait d’une fonction spécifique dans le domaine de la rationalisation de l’action publique (RCB), et de la programmation de la recherche.
La disparition de ces structures, la lente mort des instruments de planification, des études et expertises horizontales, ont finalement coupé la sphère politique de toute possibilité d’éclairage des choix, laissant à la recherche académique un rôle dominant.
Ce qui est vrai dans le domaine médical peut se retrouver de manière différente, mais répondant à des logiques comparables aussi bien en matière de transports, d’industrie, ou encore d’agriculture. A moins que, à l’instar de l’INRA peut-être, ou du CEA, la recherche ait maintenu une activité stratégique et d’expertise forte.
Alors il est peut-être temps de se souvenir d’une exigence de l’action publique : agir en connaissance de cause nécessite des outils adéquats.
Or, notre « expérience » de la pandémie devrait susciter des interrogations fortes sur les stratégies de soin et de « recherche ». Notre pays, en effet, a un triste bilan en termes de mortalité.