Corse, carburants, toujours dans le brouillard ?

 Corse, carburants, toujours dans le brouillard ? 

 

La question des carburants est revenue au premier plan, au détour de la présentation d’un rapport de l’exécutif devant l’Assemblée de Corse (rapport 2012/O1/164). Une question revenue sur le devant de la scène avec la crise des gilets jaunes, après un demi-sommeil de 7 ou 8 ans. 

 

Un hors d’œuvre un peu fade 

 

Les raisons en sont simples et connues désormais de tous. Les carburants sont chers en Corse… singulièrement par rapport aux Bouches du Rhône, et l’écart semblait bien se creuser. Alors on a cherché. Un mélange de « pourquoi » et de concours Lépine pour trouver une solution.  On attendait donc avec impatience ou à tout le moins intérêt le rapport de l’exécutif, consécutif à celui de l’Autorité de Concurrence, qui, hélas, n’a pas épuisé le sujet tout en faisant des constats forts.

Mais voilà, comme on n’a pas eu de révélations sur le pourquoi, les solutions devront attendre… qu’on approfondisse, ce qu’on ne semble pouvoir faire sans réglementer. En droit certes, c’est sans doute juste, mais en faiton a quand même de vraies pistes, qu’on pourrait chercher à explorer à conditions de poser les bonnes questions sur la « boîte noire » aux différents acteurs.  

Le rapport de l’exécutif nous a donc laissé sur la faim, d’autant qu’il manque de souffle politique et qu’il ne semble pas avoir mis le doigt sur l’origine du surcoût Corse, hésitant entre la faute de nos dépôts monopolistes, et notre insularité. Deux arguments qui certes peuvent en expliquer une part mais certainement pas sa totalité.   Mais pour revenir au rapport, on s’étonnera de ce que document, politiquement important, comporte des erreurs manifestes dont certaines sont dues à des « copier-coller » maladroits  et anachroniques d’un rapport de 2016. Ainsi en est-il, par exemple, de la présentation de l’actionnariat des Dépôts pétroliers (DPLC), ou de l’armement maritime transportant les produits pétroliers. Or, ça n’est pas secondaire !

 

Ne pas décider à l’aveugle : obtenir la transparence

 

Mais concentrons nous sur l’essentiel. Le rapport, dont la principale vertu n’est pas la synthèse, nous explique que les surcoûts constatés sont finalement dus à notre insularité, et que la situation monopoliste des DPLC soulignée par l’autorité de concurrence pose problème. Ce qui conduit à reprendre les propositions fiscales du Conseil en 2016 et de souhaiter que les dépôts deviennent une SEM. Sauf, qu’en réalité, l’autorité ne vise pas que les dépôts !  Sa synthèse expose en effet que : « (…) les dépôts pétroliers sont contrôlés exclusivement par une entreprise verticalement intégrée. Celle-ci bénéficie d’un monopole de fait sur l’approvisionnement et le stockage des carburants en Corse et contrôle une « infrastructure essentielle  : ses dépôts sont un point de passage obligatoire à toute activité de distribution de carburant en Corse. ». Tout ceci va donc bien au-delà du seul accès au marché corse… mais met en cause l’intégration verticale et le monopole.

 

On peut donc se demander si  l’exécutif et ses conseils ont pris la mesure de l’incidence probable de l’intégration verticale monopoliste qui caractérise la distribution des carburants en Corse, et – les erreurs du texte le prouvent – soient au clair sur les enjeux financiers de cette situation. Il y a donc soit une déficience d’expertise, soit une lacune politique, sur un dossier, il est vrai complexe.

Ce qui fait que les conclusions devraient être claires : sans transparence sur le coût des différents maillons de la chaîne d’approvisionnement, et les coûts « départ » des carburants, on ne peut pas interpréter  la nature, l’ampleur et les variations du surcoût des carburants en Corse.  Ce devrait donc être l’objectif n°1… que l’on devrait atteindre si tous (Collectivité de Corse et Etat) faisaient valoir que consentie ou contrainte par un règlement, la transparence – c’est-à-dire l’intelligibilité des coûts - s’impose. Ne serait-ce que pour ne pas alimenter d’éventuels faux procès.

 

 

Pas que les dépôts et leur accès

 

Mais on voit bien que nous en sommes loin, et il semble que la réalité soit actuellement perçue de manière inexacte, la question des dépôts, pour être essentielle, puisqu’elle conditionne la possibilité d’ouverture éventuelle du marché corse, n’est pas seule déterminante de la formation actuelle des prix.

En ce qui les concerne, nous avions souligné l’envolée des profits depuis la reprise majoritaire de ceux-ci par Rubis, et le fait que ce monopole empêchait sans doute l’ouverture éventuelle du marché corse à de nouveaux entrants.  Déjà, en 2013 certains parlaient de nationalisation (Guidoni). On ne découvre donc rien, mais personne jusqu’alors n’a rien réclamé avec force. 

Mais nous savons que ceci n’explique qu’une toute petite part de l’écart des prix hors taxes entre la Corse et le Continent. La marge de distribution hors taxes serait en Corse supérieure de  11 à 15 centimes à ce qu’elle est sur le continent, ce qui ne  se retrouve pas dans les comptes des grossistes locaux. Or on peut raisonnablement n’en imputer que la moitié à l’insularité, une part à la saisonnalité, et singulièrement pas à la prétendue desserte des zones peu denses ne disposant que de très peu de stations services. La question est donc d’y voir clair, plutôt que d’en déduire qu’il n’y a donc qu’une solution fiscale pour effacer le surcoût.  Bien entendu, on pourra arguer qu’on écoule sur notre marché du carburant additivé, ce qui n’est pas le cas général sur le continent, où ça n’est qu’une option. On répètera aussi que l’on ne distribue pas de carburant SP95 E10… ce que l’on expliquait déjà en 2012 par l’existence d’un « tuyau » unique d’approvisionnement, ce qui serait incompatible avec l’approvisionnement en kérosène.  De solution technique on ne parle donc pas. Est-ce stupide, trop cher.. ? Toujours est-il qu’on cumulerait donc à la fois le handicap de disposer d’un carburant mieux additivé, mais moins écologique, et de devoir – on aimerait avoir des détails – supporter l’incidence (partielle ?) de la TGAP de ce fait. 

 

Action fiscale par défaut ? 

 

Faute de transparence et d’analyse technico-économique, les solutions sont donc de compenser le surcoût pour les consommateurs. J’allais dire tant pis si ce surcoût est un mélange de sur profit et d’absence d’investissement… On nous propose donc de réduire le poids de la fiscalité, en remplaçant comme dans l’Outremer la TICPE par une Taxe sur la Consommation des Carburants et en en récupérant pour la Corse le produit fiscal. 

C’est pourquoi je trouve que c’est un  un choix politique facile.

Reste la  réglementation des prix comme dans les DOM, ou, ce qui est plus continental, comme en Belgique. Pourquoi pas, … mais une fois encore, cela n’a de sens que si l’on s’assure de la transparence des coûts (ou des prix), et leur comparabilité, faute de quoi on soupçonnera toujours des rentes de se nicher ça et là.  

Il y a donc loin, d’un rapport à une solution dans une situation de précarité énergétique d’une partie significative de la population.

 

P.S. 

 

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