La réforme de l’Etat… dans la lignée de Giscard ?

 La réforme de l’Etat… dans la lignée de Giscard ?


Les réformes prennent souvent un sens quand on les observe dans la durée… après la communication, la pratique.  Les lignes d’action des gouvernements Macron - et je mets de côté les erreurs, les maladresses, ou les décisions provoquées par des évènements extérieurs - me semble s’emboiter parfaitement dans une logique, celle qui fût celle de la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. Et je ne fais pas référence ici aux discours, encore que certaines similitudes existent, mais aux faits.A quelques faits intéressant la gestion publique. 



Le flou de la réforme 

Entre la suppression/réforme de l’ENA et celle de la haute fonction publique, avec une volonté affirmée de singer des critères de gestion et d’évaluation du privé, il semble bien que va s’approfondir une évolution très sensible de l’administration française.  

Bien entendu, en l’absence de clarté des objectifs réels et de critique de l’appareil d’Etat et des pratiques des gouvernements et de leurs administrations, le débat risque de partir dans tous les sens. 

Jean Pierre Jouyet nous explique ainsi que le problème n’est pas lié aux corps ou à leur formation, mais aux cabinets…, d’autres parlerons à plus juste titre de la sclérose de notre administration et de celle de l’Europe, de la paupérisation relative de l’Etat, de l’extrême complexification des strates et compétences administratives (voir Jean Louis Missika sur Paris), ou encore de l’abandon de structures de concertation et de réflexion pluraliste. La mort du Plan n’est pas que celle d’une idée et d’une méthode de gouvernement, c’est aussi celle de l’élaboration partagée des politiques publiques !



La mort de la « nouvelle société » sur l’autel du « libéralisme avancé »

Je suis de ceux qui pensent que ce qu’il advient aujourd’hui n’est que la mise en oeuvre d’un projet engagé à l’époque de V. Giscard d’Estaing sous l’enseigne de la « société libérale avancée ». Je ne vise pas ici les grandes réformes dites de société (droit de vote à 18 ans, IVG, collège unique…), mais le renforcement progressif du pouvoir présidentiel dans des domaines non régaliens, et la déconstruction des outils de management inspirés d’une part du PPBS américain et de la RCB française, introduits par Michel Debré, et de l’élan prospectif et analytique promu par J. Chaban-Delmas. 

Mais le projet giscardien est allé plus loin, en faisant évoluer le Plan, en en limitant très largement le côté normatif. L’ardente obligation se mute alors en simple éclairage…  évolution traduite bien plus tard dans les textes par la transformation en 2006 du Commissariat en Centre d’Analyse Stratégique. Or, ce que contenait le Plan, outre la planification elle-même, était un processus de travail collectif mêlant socio-professionnels, administration, experts… et permettant précisément de confronter les points de vue et partager certains diagnostics, comme le soulignait fortement Chaban dans son célèbre discours sur la nouvelle société en 1969.

Cette histoire… qui s’est écrite par la suite en pointillés, est rarement rappelée, tant les institutions de l’après-guerre ont été dénigrées ou tout simplement oubliées. Datar, Plan, DGRST, FDES, devaient sans doute être considérées comme ringards dans le grand schéma présenté comme libéral. 

Je me souviens des enseignements que j’ai dispensé, en tant que praticien,  à la fin des années 1970 ou au début des années 1980, à l’Institut International d’Administration Publique - créé par de Gaulle en 1966 (puis intégré à l’ENA en 2002). On y enseignait aux étudiants venus du monde entier la RCB et la planification. J’ai découvert alors que Lionel Stoleru, qui y enseignait aussi, brillant X-Mines, proche de V. Giscard d’Estaing et enseignant à Polytechnique, présentait la planification française de manière fort différente de la nôtre. Il reflétait une remise en cause du Plan qui était visible au cours du 7ème Plan, et qui se traduira au cours du plan suivant par l’abandon d’objectifs chiffrés, alors qu’ils formaient la trame des plans de l’après-guerre. 

On peut considérer tout ceci comme conjoncturel. Il reste qu’au moment ou Michel Albert, Commissaire au Plan indique que la crise pétrolière n’est pas conjoncturelle mais structurelle, le Plan abandonne ce qui dans l’ordre de l’incitatif et de l’indicatif est essentiel : je veux parler des indicateurs chiffrés. Ce recul temporaire n’est pas un hasard. C’est en réalité le produit d’une représentation de l’action publique qui relève plus de la « régulation » (économique et sociale), de l’action contra-cyclique éventuelle, que de la stratégie globale et de ce qu’on appelle un « plan ».  Après tout, sans doute, se contente-t-on alors des grandes décisions qui finalement ne relèvent plus du Plan, mais du pouvoir centralisé de la présidence de la République.  



Ils ne voulaient pas seulement détruire…mais changer d’époque

Mais ne croyons pas que ces évolutions sont ce qu’on pourrait appeler une volonté d’en découdre. Tordre le cou à des pratiques, à une méthodologie de l’action publique et de sa préparation, ne relève pas d’une seule intention destructrice. Il s’agit bien de construire autre-chose. Il s’agit de déplacer l’essentiel des décisions hors de l’appareil d’Etat - vision libérale - mais aussi de donner au pouvoir politique une marge de manoeuvre étendue.  L’apparente contradiction n’en est une que si les deux sources du pouvoir (le capital et le politique) divergent.. Or l’adoption des codes des entreprises au sein de l’appareil d’Etat, et l’extrême simplification/schématisation des réalités socio-économique fait le reste. 

En niant les contradictions et les oppositions - que l’on ne réduit plus à travers la concertation - l’Etat ne se soucie ni de planification, ni de programmation, mais de communication et de décision (les fameuses « annonces »). L’air de rien, on change véritablement, alors d’époque. Or, si l’alternance politique a altéré ce mouvement, et permis d’opérer quelques retours en arrière, faute de ligne directrice, et en raison d’alternances redondantes, finalement, le projet giscardien a fini par s’imposer… L’un des autres objectifs de cette période était de dissoudre les structures horizontales d’étude ou de recherche qui, au surplus, avaient tendance à être pluralistes, et plus à gauche qu’on ne l’aurait souhaité. La recherche contractuelle comme incitative étaient pour tout dire mal vue, et les études horizontales gênaient considérablement cabinets et grandes directions. Poser des questions n’était pas mieux vu que de chercher à rationaliser la décision publique. Et la légitimité croissante des services d’étude et leur ouverture vers les milieux professionnels perturbaient ce qui finalement voulait ressembler à un centralisme absolu. 


Le césarisme n’aime pas le plan

La conception césariste du pouvoir ne pouvait souffrir que l’administration éclaire le débat public et la décision. on y préférait l’entre-soi, et les travaux de commande.  Avec cette idée toujours sous-jacente, que les (grandes) entreprises, savent mieux ce qu’il faut faire que l’Etat… sauf qu’à l’époque le Jupiter d’alors ne rechignait pas à décider de la couleur des trains corail.  La destruction patiente des structures de concertation, des organismes d’étude, et de la programmation de la recherche est un projet cohérent, délibéré. L’idée même d’une administration prospective ouverte auprès des acteurs économiques et sociaux choquait, manifestement.  Alors bien sûr on créa des structures de plus large, horizontales.. mais derrière elles se cache un fantastique empilage hiérarchique combinant des directions désarmées, sans vision à long terme et devant se tenir à l’exécution des décisions politiques.  

Ce que l’imbrication majeure entre les hautes couches de la fonction publique et les ministres et cabinets favorise. Un entre-soi total peut dès lors tout dominer. 

D’ailleurs il faut rappeler un élément largement méconnu. Dans la foulée de la « nouvelle société » de Jacques Chaban-Delmas et de la mise en oeuvre de la RCB, de nombreux agents « non-titulaires » ont été recrutés par l’Etat. Ainsi, dans les domaines du management, des études, de la recherche, de l’informatique, etc.. de nombreux universitaires et anciens élèves d’écoles de commerce ont été recrutés dans les années 1970. Mandatés pour réformer les méthodes de l’Etat comme pour contribuer aux travaux de planification, ou aux actions de la Datar, ces agents ont joui d’un influence croissante, et contribué activement à la modernisation annoncée par le Premier Ministre. Or, ce sont précisément les structures ayant regroupé ou accueilli massivement ces agents d’un nouveau type qui ont été singulièrement remises en cause et fragilisées par l’administration de V. Giscard d’Estaing, puis certains gouvernements ultérieurs de droite. Les moteurs du changement n’étaient plus en odeur de sainteté.

Ce qui se produit aujourd’hui, est un nouveau pas dans cette évolution où se mêlent de manière assumée, un césarisme politique affiché - permis par la réforme des institutions dite du « quinquennat » - et un renforcement sans précédent du technocratisme et du mépris des corps intermédiaires. On a beau se doter à nouveau d’un (haut) commissaire au plan, il n’y a plus de processus d’élaboration ni de planification.

Il y a derrière cette évolution, non un modernisme et une sorte de courage disruptif, mais la mise en oeuvre d’un dépérissement de l’Etat au profit d’un pouvoir hyper concentré soutenu, non plus par l’expertise de l’Etat, mais par des bureaux d’études internationaux. 


Si tout ceci arrivait isolément, la chose serait moins grave. Mais elle coïncide avec une crise politique puissante (crise des gilets-jaunes, délitement politique partisan), dite de la représentativité, et une sclérose des institutions européennes.  L’une et l’autre produisant à la fois un vide (politique) et une perte de perspective. Soyons attentifs, dès lors, aux risques d’une situation où se mêlent populisme et désillusion face à un grand vide. 


P.S.

1er mai 2021

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