#Corse #Continuité territoriale : la fin du feuilleton est-elle réaliste ?

 #Corse #Continuité Territoriale : Les DSP du moindre risque ? 


L’histoire de la desserte maritime de la Corse est grossièrement marquée par quatre périodes :


  • La période antérieure à la guerre de 1939-1945 et ses concessions (voir mon ouvrage) ; 
  • L’après guerre et l’ère de la Transat jusqu’en 1969, et la création de la Transméditerranéenne, puis celle de la SNCM en 1976 ; 
  • L’ère de la SNCM, puis de sa privatisation engagée en 2005 jusqu’à son redressement judiciaire (2014) et l’épisode de sa disparition.
  • Enfin l’ère post SNCM.


Parallèlement le contexte institutionnel a changé radicalement. En premier lieu avec le statut particulier de la Corse - et singulièrement le statut Joxe de 1991  - la première concession « décidée par la Corse » intervenant en 2002 ; et en second lieu la liberté de cabotage européen décidée en 1992.


Poids de l’histoire et décentralisation


C’est donc logiquement à partir du début des années 2000 que s’entrechoqua  le poids l’histoire de la desserte, l’exercice d’une compétence territoriale corse à la place de l’Etat, et l’exigence de la libre prestation de service au sein de l’Union Européenne.  D’où un torrent de procédures, de conflits, et de décisions manifestement difficiles et imparfaites, puisqu’il y eut des condamnations.  Une période aussi pendant laquelle l’autonomie de décision de la Corse est loin d’être totalement effective !!


On  mesure assez simplement les enjeux de l’ère ouverte par cet ensemble de réformes puisqu’il s’agit non seulement à chaque fois de savoir si les titulaires des DSP vont être renouvelés (ce qui n’exclut nullement des rapports de force entre titulaires), et si les DSP seront considérées comme conformes au droit. 

Or le renouvellement passe à la fois par un maintien de l’essentiel de la flotte, des subventions, et des contraintes (horaires, dessertes, ..) dimensionnant l’offre et l’exploitation maritime. D’où des contestations récurrentes des DSP, et des exclusions réitérées de « l’autre candidat » qu’est la Corsica Ferries, dont la plus symbolique est la remise en cause du « service complémentaire », outil manifeste - déclaré illégal - d’écrémage du marché sous perfusion de subsides publics.


Le droit et le risque 


Il est en effet difficile de se soumettre au droit s’il risque de remettre en cause très largement l’existant. On craint tout à la fois les conséquences négatives supposées économiques et sociales, sans prendre en compte les effets positifs éventuels perçus comme incertains. Or, tant que la SNCM était acteur du marché, il était clair que l’Etat influençait voire dictait les décisions prises, ce que, théoriquement, il aurait sans doute dû s’abstenir de faire dès 2002, le tout sous la menace explicite de lourdes sanctions européennes.


Il s’ensuivit, au moins jusqu’en 2015 une politique de l’Assemblée de Corse sous influence, aboutissant à des décisions coûteuses et jugées illégales. Mais par la suite il était probablement perçu comme difficile de changer radicalement de politique, les intérêts économiques et sociaux Marseillais allant dans le même sans que ce qu’exprimaient les compagnies délégataires et leurs salariés. Il fallait donc réaffirmer des objectifs - de plus en plus lointains (la compagnie régionale) -, et travailler sur la forme pour endiguer les chances de réussite des recours ou des procédures engagées par la Commission Européenne. Bref, faire preuve de bonne volonté « méthodologique ». D’où le terme de « sécurisation ».





Les dernières DSP 


Les dernières DSP votées sont symboliques de ce point de vue.  Elle consolident une sorte de statu-quo, sous inflation des coûts publics, pour sept ans, sans réflexion approfondie sur le coût et les avantages d’un service public plus ou moins reconduit dans son ampleur réelle. Il est intéressant de constater que de DSP en DSP, la capacité maritime offerte change assez peu, et que les « économies de subventions» n’auront été que temporaires. Le changement apparaît donc plus dans les justifications que sur le plan concret de l’offre effective.

Et tout ceci se comprend aisément. L’évaluation - consciente ou non - des risques et des gains potentiels liés à la décision d’attribuer des DSP, pousse naturellement les « décideurs », à limiter le champ des possibles en évinçant les candidats risquant de provoquer le plus grand changement, et, idéalement, de les dissuader de candidater. Même si le coût du statu quo minimal est très important, mais reporté dans le temps. En fait la crainte du changement prédomine, renforcé par la force, supposée ou réelle, de ceux dont l’idéologie identifie le service public aux pratiques antérieures.


Cette façon de faire n’est pas spécifique à la Corse. Nous avons pu en mesurer l’incidence dans le domaine ferroviaire, la France choisissant une politique de l’édredon plutôt qu’une stratégie offensive face à l’inéluctable « ouverture du marché ». Ce qui n’empêcha pas des réformes et contre-réformes douloureuses de la SNCF, sans qu’on soit certain de leur justification ni de leur effet réel sur la compétitivité de l’entreprise.


On peut donc raisonnablement penser que le « feuilleton » de la continuité territoriale de ces 20 dernières années était malheureusement prévisible, et que son dénouement se fera sans doute encore attendre un peu. 


P.S. 

31/12/22


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