Ubu dans les #transports
Ah ! La politique des transports ! On parle, on parle, mais comment agit-on, avec quels outils ? Comment choisit-on, arbitre-t-on ? Comprend-on facilement ce qu’on fait et comment ?
Voyage au pays d’Ubu
Promenade dans l’univers des politiques de transport
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« Oui, et nous éblouirons nos compatriotes des récits de nos aventures merveilleuses » Ubu, Alfred Jarry.
les cordons de la bourse
Jadis, la lecture des comptes des entreprises publiques n’était pas toujours aisée, mais s’agissant des politiques publiques et du budget, c’était simple. Le « FDES » (comité 8) suivait de près les investissements publics dans les transports et leur financement. Les Comptes des Transports de la Nation existaient encore, ils s’amélioraient d’année en année. On savait qui payait quoi, et comment. Les « Budgets de Programmes » et la Rationalisation des Choix Budgétaires (RCB) tentaient de rendre lisible la politique des transports et l’organisaient pour la rendre plus efficace, plus explicite, fondée sur une évaluation économique et sociale de plus en plus large.
C’était avant.
Et on développait la connaissance statistique du secteur, tant des trafics, du transport, que des données économiques et sociales, même si c’était parfois un combat compliqué (on pense ici aux données sur les conditions de travail des conducteurs par exemple, ou aux données sur le transport de voyageurs). Au surplus on produisait des études dans différents domaines : sur les programmes ministériels, et leur conception, les réflexions prospectives et de planification à moyen ou long terme, des prévisions ou des projections de court terme,… et on tâchait d’en partager les résultats.
Aujourd’hui nous en sommes loin, très loin. Et cela pénalise non seulement les politiques eux-mêmes (méconnaissance), mais l’ensemble des acteurs. D’autant que l’on a supprimé les structures de partage : Commission des Comptes des Transports de la Nation, Conseil National des Transports, Commissions du Plan, et divers « groupes informels ».
Se plonger aujourd’hui dans les documents du « Projet annuel de performances pour 2025 » pour les transports (programme 203), le rapport d’activité de l’AFIT France, ou le document « Chiffres clés des transports pour 2023 », produit une impression de profonde régression et de confusion.
D’abord du côté des informations utiles. La disparition des Comptes des Transports (la commission et le rapport qui va avec) a laissé place à une publication allégée, simplifiée, qui ne permet plus de voir très clair dans ce qu’on pourrait appeler la « macroéconomie des investissements publics » et des aides d’Etat.
En outre, l’évolution institutionnelle et politique a conduit à fortement diversifier les source de financement parallèlement à la montée en puissance des politiques européennes (Réseaux Transeuropéens), et au développement de la décentralisation.
Ainsi, le tableau suivant, résume la situation présentée pour 2022 dans les comptes des transports de la nation.
Milliards € dépensés |
Fonctionnement |
Investissement |
Administrations publiques locales (hors transferts entre adm. locales) |
27,5 |
17,5 |
État et Afitf |
9,9 |
5,9 |
Du côté de l’Etat, pour échapper à ses propres règles (organiques sur les finances publiques) il a été créé un établissement public, logé dans les locaux du ministère, qui « gère » la majorité des dépenses d’investissement sous sa maîtrise, et y fait converger des recettes multiples (fractions de la TICPE, des amendes routières, des taxes sur les autoroutes etc..). De fait il s’agit assez grossièrement de faire affluer vers des dépenses non routières (environ 60 %) les recettes routières (TICPE, amendes et autoroutes).
Au total, l’AFITF et le COI, regroupent une poignée d’agents mais dépendent de larges conseils d’administration.
Graphique établi par la Cour des Comptes figurant les recettes de l’AFITF
Cependant, comme le souligne la Cour des comptes, rien n’assure - pas même le Comité d’Orientation des Infrastructures (COI) - la cohérence et la programmation des ressources en regard des projets financés, eux même ne répondant à aucun plan explicite.
Le pendant de cette désorganisation, est visible dans le document de performance du programme « 203 ». Celui-ci est un assemblage grossier de lignes de dépenses rattachées à des missions, illustré par des indicateurs de performances dont certains sont incompréhensibles, d’autres inadéquats.
Ainsi est-on surpris par exemple de voir les objectifs de « part modale » non routière synthétiser d’une part l’objectif principal poursuivi (et non celle de la réduction des émissions de gaz à effet de serre), et surtout de ne pas disposer d’un exposé de ce qui est le programme concret permettant d’y parvenir.
Passons aussi sur l’objectif consistant à maximiser la part des véhicules en infraction parmi les contrôlés, dont la signification est ambivalente. Les taux de remplissage ou la régularité des trains conventionnés de voyageurs semble par ailleurs un indicateur bien lointain de l’action publique.
Mais il y a pire, s’agissant des opérations d’infrastructures, le gouvernement affiche vouloir des projets utiles à la collectivité. L’indicateur utilisé est le ratio « de bénéfice socio économique actualisé par euro public investi » (conformément à l’instruction-cadre du 16 juin 2014). On ne peut qu’être surpris que l’on ne prévoie pas le niveau attendu pour les projets financés en 2025, et surtout que le ratio des années 2022 et 2023 fasse apparaître le financement de projets explicitement coûteux pour la collectivité (ils coûtent plus qu’ils n’apportent).
Ce désordre et cette « organisation » pénalisent la lisibilité, la transparence et à tout le moins l’efficacité des politiques publiques. On cherche sans résultat la trace de programmes d’action ou d’intervention explicites et évalués. Tout ceci est grave mais pas totalement dramatique si au moins on avait persévéré dans l’éclairage des choix relatif les grands projets à moyen et long termes, et singulièrement ceux bénéficiant de concours européens. Ça n’est pas le cas. Nous avons déjà fait ici cette critique. Et ce qui rend d’autant plus difficile une réflexion sur l’efficacité des dépenses publiques et les priorités, et permet de mesurer l’ampleur de la tâche dès qu’il s’agit d’appliquer, comme aujourd’hui, une politique rationnelle de restriction budgétaire.
P.S. 22/10/24