Décarboner le fret : et si on y réfléchissait vraiment ?

 Décarbonation du Fret : et si on y réfléchissait vraiment ?


Les ambitions et le monde réel


Les ambitions politiques concernant le transport de marchandises tournent autour de l’objectif d’en faire baisser massivement les émissions de gaz à effet de serre. En fait, aujourd’hui, et de manière parfois brouillonne (voir notre article UBU sur Linkedin), elle traduit cet objectif en une « priorité accordée aux modes alternatifs à la route ». 

Ainsi, si pour les transports individuels (58 % de l’énergie consommée par les transports terrestres), la priorité semble être donnée à l’électrique, pour le fret, on en reste largement au principe du « report modal ». 

Cette logique - qui se traduit par exemple par l’énoncé d’une stratégie ferroviaire et un schéma directeur du transport combiné - se heurte cependant à de dures réalités. 


  1. D’une part le transport ferroviaire ne parvient pas à « remonter significativement la pente ».  Il est depuis 2002 sous la barre des 50 milliards de t.km et se cantonne aujourd’hui autour de 35 milliards de t.km, niveau atteint au milieu des années 1920. 
  2. Le transport combiné, qui apparaissait il y a 40 ans déjà comme l’un des seuls segments de marché dynamiques, à certes doublé, mais stagne depuis plus de 20 ans autour de 14 milliards de t.km, après s’être écroulé entre-temps (2010)
  3. Fret Sncf, qui a été régulièrement déficitaire doit subir une restructuration profonde (discontinuité aboutissant à la création de deux sociétés), et abandonner le seul segment de marché dynamique à la concurrence. 


Le transport intérieur de fret en France




Or, le contexte actuel du transport ferroviaire - on le rappelle, présenté comme une solution d’avenir, a profondément changé. 


  1. En premier lieu, le fret a atteint son maximum dans les années 1970. Cette activité qui a longtemps dominé l’évolution du rail est en régression alors même que le transport de voyageurs connait un expansion soutenue. Quand il double (en gros depuis 1985), le fret perd peu près 40 % de sa substance, incapable de s’inscrire dans la construction européenne, et surtout de faire face à la « dématérialisation » de l’économie. 
  2. Cette évolution fait face à une révolution du transport routier, qui a su s’adapter au grand marché européen. Ce dernier progresse d’environ 45 % depuis 1985 sous pavillon national, et est multiplié par 10 sous pavillon étranger. 
  3. Or, malgré cette évolution les transports de fret ont tendance à consommer à peine plus d’énergie pour un trafic très croissant.


Se poser la question de la stratégie à mettre en oeuvre, c’est d’abord partir des réalités.  Une réalité statistique. Aujourd’hui, la route produit environ 300 milliards de tonnes.km, contre 35 pour le rail. On voit donc immédiatement que le transfert modal devrait être massif pour être visible. Un doublement du transport combiné ferait baisser la route de moins de 5 % !  


Le transport intérieur de fret en 2022





A la recherche de solutions 


La solution ferroviaire, si elle devait exister, demande de dégager de la capacité (sur un réseau qui est partiellement saturé), de la fréquence, des débits, et des coûts compétitifs, ce que ne peut permettre le modèle actuel d’exploitation du combiné.  Cela nécessite des innovations « conceptuelles » : cela concerne la conception des terminaux (géométrie et manutentions), le système de contrôle commande (ERTMS est peu déployé, complexe, ne progresse plus et est trop cher), les trains et wagons. 

Cela nécessite aussi des efforts en matière d’infrastructures, pour dégager des itinéraires dédiés ou prioritaires sur les grands axes d’échanges (qui sont aussi les grands axes du réseau transeuropéen).

Le rail ne peut espérer capter massivement des trafics - ce qu’on lui assigne comme objectif - qu’en utilisant un réseau (10 000 km ?) de lignes partiellement dédiées ou partagé équitablement,  et à haut débit. C’est possible. 

Mais un tel programme, dans l’état actuel des choses (et des prises de conscience), a peu de chances de se réaliser à un horizon rapide. Et il est relativement onéreux. On peut estimer qu’il se chiffrerait à plusieurs dizaines de milliards €. On pourrait rentrer dans le détail, mais il faut accepter de changer radicalement de conception :

- ne plus avoir - sauf à la périphérie - que des terminaux en 1/2 lune permettant une exploitation fluide ; mettre en place un réseau permettant des transports plus courts (300-400 km par exemple) ;

- disposer de terminaux à haut débit assurant un arrêt maximal des trains de 1/4 d’heure ; cela impose, à un certain niveau de débit, des solutions automatisées ; 

- mettre en place progressivement la motorisation répartie des wagons et l’attelage numérique ;


Tout ceci permettrait d’aller plus vite, de maximiser les débits, de s’inscrire dans des marches de trains de voyageurs, de minimiser les coûts unitaires, et - grâce à un système post-Ertms - de renforcer les capacités et la sécurité.


Une autre solution, non exclusive, est de développer dès maintenant que le réseau des autoroutes des voies électrifiées pour les poids lourds. Il semblerait que cette solution soit rentabilisable - selon l’étude ce Carbone 4 - sur la partie la plus fréquentée du réseau (1/3 du réseau) et relativement peu onéreuse (5 milliards €). L’extension de cette solution aux 13 000 km de réseaux poserait sans doute la question de ses conditions de rentabilisation, mais devrait être étudiée. 


La question dès lors est de mettre en oeuvre rapidement une étude permettant de choisir la meilleure stratégie de décarbonation du fret, et surtout d’en  établir la programmation, le financement, et la cohérence avec les perspectives de production d’électricité décarbonnée. Une étude qu’il faudra faire de manière contradictoire, pluraliste, et transparente. 


P.S. 2/11/24

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