Corse, Statut de résident : Mon papier dans le "Cercle Les Echos"
La revendication du « statut de résident » est le révélateur d’une rupture entre croissance et développement
Ovni politique ? … pas pour tout le monde
Les
débats institutionnels ont mis en avant en Corse la thématique du « statut
du résident ».
Autant
celle-ci est comprise en Corse, mais pas nécessairement toujours soutenue par
tous[1],
elle l’est beaucoup moins sur le continent. Une sorte d’Ovni politique.
Il
faut pour autant s’interroger sur ce qui est mis en avant ou ce qui explique
l’essor puis l’adoption du principe du « statut du résident » en
Corse, en forme de vœux, dans l’attente des adpatations institutionnelles
nécessaires.
Une
évolution pour le moins problématique. En effet, la logique qui conduirait à revendiquer pour
une population de ne pas être dépossédée de « sa » terre au profit de
« résidents secondaires » pourrait être comprise y compris en dehors
de Corse, voire partagée dans des zones où le poids des résidences
secondaires est fort, ou, cas plus ancien,
où l’immigration a rendu la population d’origine minoritaire, c’est à dire
l’essentiel des villes conquises par l’exode rural. Mais c’était il y a
longtemps !
D’où vient donc ce qui a pu être présenté ou perçu comme
un Ovni politique ?
Pourquoi donc un tel statut est-il revendiqué
spécifiquement en Corse ?
Le
statut du résident consiste en fait à dénier au non-résident le droit
d’acquérir, ou à l’obliger à résider suffisament
longtemps avant d’acquérir, ce qui
revient au même.
La réponse est assez
simple : Affirmation de la volonté d’un peuple – se sentant fragilisé – de
se prémunir contre une prédation. C’est une sorte de bouclier est dont la force
idéologique peut être palpable en Corse. Même si elle fait et fera débat. C’est
aussi une thématique qui permet de « cliver » et donc d’anticiper sur
des majorités politiques futures….
Le « statut » reprend
aussi « en creux » une vieille thématique nationaliste relative aux « colonies de peuplement », mêlant
dans la mémoire collective l’occupation étrangère (romaine, génoise, française
etc..), et un tourisme prédateur. Derrière, il y a en réalité plusieurs
sujets : se loger – ce qui est
difficile pour nombre de corses -, freiner
le tout-tourisme et la résidentialisation de l’île, et plus globalement sauvegarder des espaces… Un mélange de
problèmes sociaux, environnementaux et économiques. Un statut qui choque sans doute certains. Les
uns au nom des principes de droit, d’autres en raison du doute que l’on peut
avoir sur son efficacité, ou pire des craintes d’effets pervers, d’autres
enfin, au nom de l’analyse socio-économique, considérant qu’au final l’argent
n’a pas plus de patrie que la spéculation. On peut en effet trouver un peu
courte une analyse reposant essentiellement sur l’origine géographique de la
spéculation. Mais cela ne doit pas empécher de comprendre la résonnance sociale et politique du thème du statut.
Se loger
La Corse est l’un des régions
de France où la sur-occupation des logements est forte (12,4% de la population
des ménages de deux personnes ou plus).
Et il est vrai que dans certaines zones, autant les résidences
secondaires se développent, autant il est difficile pour un travailleur de
trouver à se loger à un prix décent – mais là encore, c’est tout aussi vrai
ailleurs comme en Ile de France -. C’est qu’en effet la part de la Corse dans les transactions en
France demeure relativement stable autour de 0,5 %, soit en gros celle de la
population corse en France. Autrement dit, en première analyse, pas d’exception
corse. Et même une absence de signe statistique
apparent de spéculation.
Pour autant, les prix des terrains demeurent
relativement élevés en Corse – 64 € le
m2 en 2012 –. Et le prix du logement est majoré en raison d’un coût de
construction moyen au m2 étant supérieur
- jusqu’à 30 % - en Corse à ce qu’il est sur le continent (insularité,
rentes…). Et puis, mais ça n’est pas une spécificité corse, les disparités
sociales sont fortes dans l’île, et le taux de pauvreté conséquent : 19%
des personnes ont un revenu inférieur à 60 % du revenu médian (moyenne
française de 14,4 %). Une situation pire en Seine Saint Denis, dans l’Aude, le
Pas de Calais ou les Pyrenées Orientales, ou encore la Creuse et quelques autres
départements. Mais la grande pauvreté (<40 5="" avec="" de="" denis="" derri="" des="" dian="" du="" est="" et="" forte="" france="" i="" l="" la="" le="" m="" niveau="" pauvret="" personnes="" plus="" pratiquement="" re="" revenu="" saint="" seine="" seuil="" sous="" ude="" vie="" vivant="" y="">le plus faible40>
de France. Et l’immobilier est en Corse plus marqué qu’ailleurs par le poids
des résidences secondaires. Plus de 35 % du parc de l’île est composé de
résidences secondaires ou de logements occasionnels. Cinq fois le taux moyen
français. Une fois et demi à deux fois la proportion des autres régions
touristiques (région mais pas « zone »). Et la Corse comprend un
nombre très faible de logements vacants : 3,9 % contre 7,2 % en France. Un
creuset donc pour une stigmatisation du marché immobilier et ses
« prédateurs ».
Rente différentielle
En Corse, la croissance démographique est
alimentée par l’immigration (autres régions, autres pays). Or, entre 2003 et 2006 on a compté
environ 28 000 personnes qui ne résidaient pas en Corse 5 ans avant, et le mouvement
s’est poursuivi ensuite. Sur cette période environ 65 000 résidents ont changé
de logement. Donc, si tous les
déménagements transitent bien par le marché,
ce qui n’est pas sûr, 30 %
du marché du logement - achat et location
- relève bien du solde migratoire.
Par ailleurs, les résidences
secondaires (35 % du parc, les 2/3 dans certaines communes littorales) viennent
se surajouter à ce marché façonné par la démographie, et donc mécaniquement
renforcer encore le sentiment de certains résidents corses d’être
« dépossédés », d’autant que leur croissance serait cinq fois plus rapide que celle des
résidences principales.
Onpeut alors parler de la pression « différentielle » de
la demande « touristique » et de la demande « intérieure »
de logement, bien plus que celle venant directement de la volonté ou non
d’acquérir une résidence secondaire. En
effet, une part importante du tourisme transite par des logements mis en location
par des « résidents en Corse », la notion de « résidence secondaire » ne coïncidant pas avec celle de « propriétaire non résident ». Environ
30 % des séjours de touristes sont « hébergés » en habitat non
marchand (dont une partie chez des amis). Et 5 à 6 % des séjours de touristes
(ne résidant pas en Corse) qui ont lieu dans des résidences secondaires
représentant un peu moins de 12 % des nuitées…
L’importance du marché
touristique déporte ainsi tout simplement l’offre vers la demande la plus
lucrative, et pèse sur les prix. En zone balnéaire le revenu locatif estival d’un
bien est comparable au revenu locatif annuel d’une résidence principale par
ailleurs assez cher. Le problème nous semble d’emblée plus tout autant dans la demande touristique que
dans celle de terrains par des candidats acquéreurs extérieurs.
Or il nous semble bien que,
pour efficace qu’il puisse éventuellement être à court terme, le statut de
résident se heurtera à une réalité structurelle de la Corse : une contrée
dégageant un déficit commercial
structurel majeur - qui, après
transferts publics (solidarité nationale) – est nécessairement équilibré par
une épargne extérieure.
Le déséquilibre extérieur facteur de déséquilibre interne et de spéculation
Le déséquilibre commercial est
considérable en Corse (50 % du PIB), et très au dessus des ordres de grandeur des
grandes îles de Méditerranée.
Figure 1 : Solde commercial estimé en 2009 par rapport au
PIB insulaire
Or, l’épargne extérieure vient
mécaniquement équilibrer les comptes corses une fois tous les transferts comptés.
Elle représenterait plus de 1,3
milliards €/an (chiffre de 2009). C’est
un ordre de grandeur loin d’être négligeable puisqu’il représente un flux
d’épargne représentant environ 17 % du PIB insulaire. Mais la nature réelle de
ce flux nous est actuellement méconnu. Cette
épargne extérieure – dans une économie qui est fortement résidentielle et
dispose d’une base productive étroite -
se porte nécessairement sur quelque chose. A Chypre, on le sait, ce sont
les produits bancaires qui ont attiré cette épargne, russe par exemple. Il est
probable qu’en Corse ce soit largement le marché immobilier et touristique, en
l’absence d’autre secteur « attractif ». Des placements qui cumulent
espérance de revenu et de plus-value.
Autant dire que ce flux est
structurant et qu’il alimente logiquement une croissance qui peut devenir appauvrissante (cf. Exposé
Pr M.A. Maupertuis, Padduc, 2013).
De ce point de vue, la
spéculation n’est que le triste reflet d’une économie en déséquilibre, dont
l’importance s’accroit d’année en année, sans générer de développement
productif propre. A l’inverse il faut
être naîf pour relier le phénomène spéculatif aux seuls flux externes. Le
marché, se nourrit aussi d’une offre, et de pratiques souvent dénoncées en
matière de plans locaux d’urbanisme et de permis de cronstruire. Mais tout ceci
n’a de sens que parcequ’il y a au moins un milliard qui vient chaque année
rejoindre l’économie corse de l’extérieur.
Ainsi, pour symbolique qu’il
soit, le statut de résident, butera sur la première faiblesse de l’économie
Corse : sa croissance n’est pas synonyme de développement mais
éventuellement d’appauvrissement.
P.S.
[1] NOTES : Voir par exemple la position de François Perrino, president de la fédération du BTP de Corse du Sud. Il rappelait que le BTP représentait en Corse 10 % de la valeur ajoutée, 12 % des emplois et 6% du PIB.
[1] NOTES : Voir par exemple la position de François Perrino, president de la fédération du BTP de Corse du Sud. Il rappelait que le BTP représentait en Corse 10 % de la valeur ajoutée, 12 % des emplois et 6% du PIB.