Etre Ministre des Transports, drôle de métier !

Disons-le tout net, les ministres des transports ne savaient pas tous, avant d'être nommés vraiment dans quelle galère ils se retrouveraient. Les grèves y sont une sorte de sparadrap à la Capitaine Haddock (in l'Affaire Tournesol).

Les transports sont un secteur d'abord multiple et complexe - ce qui oblige à travailler et ne pas tout confier au "réflexe politique".  Et qu'on affuble le titulaire d'un titre de Secrétaire d'Etat, - de plein exercice ou non - de Ministre, voire de Ministre d'Etat, ne change rien. 
In fine, il est en première ligne, et "sa tutelle" le laisse naturellement  remplir sa fonction première de démineur. 
Car ce secteur est copieusement agité par des grèves, ou, si ce ne sont des grèves, par des mouvements, blocages, manifestations, qui, en touchant  à la mobilité, entravent la vie économique. 
Et le paysage n'est pas simple. Forte diversité syndicale, aussi bien patronale qu'ouvrière, particularismes réglementaires et historiques - tout le monde n'a pas des Sociétés Nationales, des règlements complexes et des métiers aussi "typés" -, et des cultures professionnelles si fortes. 
Qui n'a pas connu un conflit routier, un mouvement de contrôleurs aériens ou de taxis, une grève des transports publics, un blocage de la continuité territoriale corse, ou encore une grève de bateliers ou de dockers (pardon à ceux que je ne cite pas), n'a rien compris. 
Le Baptême du feu intervient généralement vite, et l'apprentissage "social" se fait souvent plus vite que ne le permet la programmation par les cabinets - lorsqu'ils sont composés de gens compétents - de rencontres avec les acteurs du secteur. 
Et puis votre surprise vient de ce que les conflits sont toujours ou presque différents de ceux qu'on rencontre ailleurs. Une entreprise majeure disparaît et sa reprise met la moitié du personnel sur le carreau, vous croyez avoir touché du doigt des problèmes graves, comme en rencontrent vos collègues. Absolument pas. Les vrais conflits, d'un autre type, ceux qui vous attendent sont autres. 
C'est Gaston Bessay (ancien cheminot, qui était alors Vice Président du Conseil National des Transports), instigateur d'un groupe de travail sur la "continuité du service public" disait - à propos de la SNCF - en 1999 lors d'une réunion  du Conseil National des Transports"la grève est nécessairement vécue comme une contribution à la défense de l’entreprise socialement et politiquement légitimée par l’attitude même des autres acteurs (Etat-direction), et un rituel nécessaire dans le système bureaucratique de la Sncf (c’est le moyen d’engager le dialogue « réel»)."

On le découvre assez vite en effet. La parole portée par le mouvement syndical est ici particulier. Ce qui est en cause c'est "la défense" d'une certaine conception de l'entreprise ou du métier. Regardez la SNCM, la SNCF, les Taxis, le contrôle aérien, et jadis cette cohorte de conflits. Les mouvements ne portent pas des revendications classiques, mais des affirmations politiques, des conceptions du service public ou de la régulation économique. Et on n'en sort pas souvent avec un chèque. Fut-il important.  Le conflit, Bessay avait raison, c'est une façon de parler. 
Certes, les conflits routiers sont d'une autre nature. Mais posent toujours au coeur la question de la régulation. 
En ce sens, ils portent une revendication fondamentale en ce qui concerne l'Etat. Ils veulent incarner une représentation de l'Etat contre une autre, et à terme, remettent en cause la légitimité du "pouvoir" au non de ce qu'ils estiment incarner. La conception politique et sociale de l'organisation de la mobilité revient sans cesse sur le tapis, et les conflits cristallisent l'opposition entre deux légitimités : celle de ceux qui pensent l'incarner et celle de ceux qui la tiennent des élections. 
Ministre des Transports... drôle de métier. 

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