Quand le tourisme devient trop massif….
« Des romantiques canaux
de Venise aux remparts de Dubrovnik, en passant par l'île écossaise de Skye,
les touristes sont devenus un cauchemar pour certains riverains malgré la manne
financière qu'ils apportent. » (L’Expansion-Express, 17 Août 2017)
La critique – parfois vive - du tourisme aboutit logiquement
à une vague d’interrogations générales sur ses vertus et ses inconvénients.
Laissons de côté les grands excès qui, ont défiguré et bétonné par exemple les côtes
espagnoles, et transformé définitivement des merveilles insulaires en mélange
de luna-park et de boîte de nuit non stop.
Imaginons que le discernement soit de mise, celui-là même
qui fît abandonner les projets déments nourris par exemple pour la Corse dans
les années 1960-1970, et permis au conservatoire du littoral de sauver des
kilomètres carrés d’espaces naturels.
Il reste une question pendante :
Jusqu’où le tourisme est-il positif ?
Par nature, celui-ci se résume en fait à aller consommer des
marchandises et « profiter » des sites en dehors de son lieu de résidence. Autrement dit, on y apporte avec soi des
dépenses de mobilité, des dépenses courantes – largement alimentaires -, et
d’hébergement. Ce déplacement est un flux financier qui fonctionne comme une
exportation de la région visitée.
Mécaniquement chaque nuitée « laisse » une recette locale
supplémentaire.
En Corse, c’est en gros 2 milliards d’€. Ce qui fait, pour
environ 4 millions de touristes, 500 €/personne, soit, les gens restant en
moyenne 10 jours, autour de 50€/ jour.
Sur ces 2 milliards, une fraction quittera immédiatement le territoire
touristique : ainsi en est-il par exemple d’une grande partie des coûts de
carburant, de certains produits alimentaires (hélas importés), sans compter
l’ensemble des biens durables utilisés et importés (comme les automobiles de
location, les meubles etc…). Selon le type de tourisme, le solde sera ainsi
plus ou moins important.
Au total, on estime qu’il reste alors en « valeur
ajoutée en Corse » qui serait de l’ordre de 600 millions €, et sans
doute beaucoup plus en intégrant la fraction des locations versées aux
particuliers et partiellement non déclarées. On estime au final que 200
millions € de salaires sont distribuées grâce au tourisme. Mais, il semblerait qu’un saisonnier sur deux
soit non résident, ce qui signifie qu’une part des salaires ira – mais dans
quelle proportion ? – se dépenser ailleurs. Au total on estime que le tourisme en Corse
génère finalement autour de 10 % du PIB (autour de 7 % en France), mais
produit 20 % des taxes, dont une fraction reste en Corse. A vrai dire, ces
chiffres mériteraient d’être singulièrement affinés, en raison même des
structures particulières de la consommation touristique. Ce schéma se retrouve à peu près dans toutes
les zones touristiques, avec des ordres de grandeur et des pratiques variables.
Les chiffres de la région parisienne devraient aussi être tout autant
relativisés et la seule valeur ajoutée locale être mise en avant par les élus.
Les conséquences sur
l’économie locale
Les conséquences pratiques sur l’économie locale du tourisme
sont assez faciles à énoncer.
• En premier lieu on met en avant le développement de
l’économie hôtelière (une dizaine de millions de nuitées
« marchandes » en Corse par exemple) de la restauration au sens
large, et l’activité commerciale et artisanale de
bouche. Ajoutons aussi, pour faire bonne
mesure les achats divers dont la grande majorité sont des produits importés (de
la crème solaire au parasol, casquettes et vêtements par exemple). Soit. Mais une part importante va à la location
estivale des particuliers, dont le marché pèse, on le sait, sur celui de la
location des résidents, et les prix de
l’immobilier. Il s’agit là d’une rente classique, dont on défalque les achats
importés. Ce développement alimente le secteur de la construction et de
l’équipement de la maison, qui génère à la fois de la valeur ajoutée locale et
des importations (matériaux, ciment, mobilier…). Si le solde net est positif, il pèse
néanmoins sur le marché immobilier local et les prix du foncier, qui
constituent par ailleurs une rente largement recyclée dans l‘économie insulaire
(ou placée).
• En second lieu, le tourisme, par son caractère saisonnier,
nécessite des investissements (infrastructures) dimensionnées pour les pointes
et des dépenses de fonctionnement supplémentaires. Dans certains cas des
équipements peuvent être considérés comme dédiés au tourisme et
« utiles » quelques semaines par an. Rappelons ici qu’à la pointe
d’Août, la Corse accueille autour de 420 000 touristes pour 320 000
résidents. La concentration dans le
temps et dans l’espace de la fréquentation touristique a nécessairement un
impact économique et écologique direct. Avec des circulations routières 6 à 10
fois supérieures dans certains lieux en Corse, la physionomie des déplacements
insulaires change du tout au tout prennent pus de temps et coûtent plus cher.
C’est aussi en plein été, en Août 2017, que l’on a battu le record de
consommation électrique corse, dont on sait qu’elle est partiellement importée
ou produite avec du fuel (importé et polluant). C’est aussi à ce moment que les
consommations d’eau et de carburants, la production de déchets, et la
pollution, vont atteindre un très haut niveau – y compris dans les villes
portuaires du fait des navires -. On
pourrait aussi considérer les accidents divers dont le nombre, est très élevé
en été, aussi bien en mer, sur route que dans les montagnes. Ces effets ont un
coût pour la collectivité parfaitement mesurable, et venant donc en déduction
des apports du tourisme[1].
On pourrait ainsi faire le bilan coûts-avantages du tourisme
en en prenant en compte les effets d’entraînement – positifs ou négatifs
-. On peut aussi, via une méthode comme
celle « des effets », en mesurer l’influence finale dans le temps sur
le PIB local et les différents bilans des ressources naturelles et des
écosystèmes. Et bien sûr s’interroger sur l’incidence de ce bilan par catégorie
sociale ou type d’agents économiques.
• Il y a enfin des flux financiers d’investissement – y
compris publics - liés au tourisme touchant les secteurs concernés (tourisme,
commerce, etc.), mais également, bien entendu le foncier et l’immobilier.
L’investissement extérieur en direction du foncier, considéré comme
déstabilisant pour l’économie est également, sous forme de revenu de la
rente venant dans le cas de la Corse
compenser son déficit considérable de la balance commerciale. Sans épargne
extérieure, recyclée en rente foncière des résidents, le niveau général de vie
général baisserait inexorablement. Ainsi, le tourisme contribue certes au PIB,
mais en même temps se nourrit du déséquilibre de la balance commerciale corse
et contribue à déséquilibrer l’économie. C’est un cercle vicieux
manifeste. La rente foncière réalisée
directement par les résidents (vente de biens ou location) et tirée des non
résidents (locations), maintient ainsi l’illusion d’un niveau de vie
intrinsèque plus élevé que ne le permettrait la faible base productive corse.
On peut même considérer qu’il encourage la recherche de la rente au détriment
d’un investissement productif, et peut ainsi « ronger » la base
productive locale.
Ce processus a naturellement une limite à la fois physique
(espace limité) et réglementaire (Padduc, Plu…), et conduit donc inexorablement
à la fois à l’épuisement du système et à une hausse continue des prix (rente).
Réguler ?
Il va de soi que cette situation ne peut raisonnablement
être poussée à l’extrême. On sent bien, à Venise, à Barcelone, au Pays
Basque, et même en Islande, pour ne pas
parler que de la Corse, que la croissance du tourisme de pointe saisonnière provoque
une tension économique, sociale et écologique.
Mieux le maitriser, et reconstruire une économie cohérente
et plus équilibrée sont donc une exigence. Mais, cette situation n’est que le
reflet d’une tendance plus générale, qui est celle de la concentration des
populations dans l’espace, alimentée
d’ailleurs par les théories de certains urbanistes (qui prônent la
densification pour limiter la mobilité automobile), et l’essor de la mobilité
touristique en général favorisée par des transports finalement meilleur marché.
Reste à inventer la régulation.
Une première régulation est
naturelle. On peut en effet estimer que la surpopulation touristique pèse sur
l’attractivité et détourne une part de la clientèle. De même, les contraintes
de capacité limitent de fait le volume maximal des entrées/sorties dans un
territoire, a fortiori insulaire. On sait tous que la capacité aéroportuaire et
portuaire est un facteur limitant très mécaniquement. On peut donc la
maîtriser. Les choses sont plus complexes pour des sites continentaux
accessibles par la route. L’incitation commerciale – et pourquoi pas fiscale –
à l’étalement est aussi un facteur possible de régulation. N’oublions pas que
les hauts prix de l’immobilier en général dans les zones fortement peuplées ou
touristiquement attractives favorisent – en particulier en période de
croissance faible – des pratiques de location temporaire « boostées »
par des applications dédiées. C’est aussi en limitant l’artificialisation des
sols et la construction dédiée au tourisme que l’on en limite la croissance.
D’où le rôle majeur des textes législatifs (loi montagne, loi littoral) et des
règlements d’urbanisme. Mais sans approche globale et communication forte
autour d’un tourisme de qualité, il est illusoire de penser réguler quoi que ce
soit, et surtout pas l’attrait de la rente touristique.
P.S.
[1]
Pas totalement en effet, on peut admettre que la pointe d’été permet de
disposer d’infrastructures voire de services supplémentaires en période creuse.