UE : La crispation autour du #cabotage #routier a-t-elle une issue ?

UE : La crispation autour du #cabotage #routier a-t-elle une issue ?

Le monde du transport – essentiellement routier (mais aussi aérien) – est actuellement fortement sensibilisé par la question du cabotage et du travail détaché. La raison en est simple. En effet, le fait de « caboter », c’est à dire de réaliser un transport intérieur chez un partenaire de l’UE, est en concurrence frontale avec le transport intérieur réalisé par les locaux.  Tout ceci met en relief les disparités entre nationalités de transporteurs, et néglige donc les disparités entre régions à l’intérieur d’un pays.
Sur le marché des biens et de certains services immatériels, la concurrence se traduit bien par le fait que du travail français ou allemand se trouve concurrencé par du travail polonais (ou chinois). Quand j’achète un jean sur internet, j’achète un ensemble de valeurs ajoutées relevant d’Etats différents et donc de normes, règles, taxes et cotisations différentes, mais aussi de niveaux de vie différents.  Après le « choc » créé par l’élargissement de la concurrence, cet état de fait est moins contesté qu’avant, sauf en ce qui concerne les règles sociales et environnementales. 

Front du refus ?

Pour le transport, en revanche, on sent bien un réel « blocage »  d’une partie des milieux professionnels auquel adhérent certains ministres des pays les plus avancés de l’UE (Mémorandum  des 9 ministres européens chargés des transports – Paris, le 31 janvier 2017). L’idée mise en avant désormais est qu’en matière de détachement on rende obligatoires tous les éléments de la rémunération du pays d’accueil aux travailleurs détachés dès le premier jour du détachement.  Dans le même temps, on cherche manifestement à freiner l’essor du cabotage, et donc à limiter les durées de cabotage entre deux transports internationaux, et le nombre d’opérations autorisées. Sauf que tout cela est concrètement très difficile à contrôler et les fautes éventuelles à sanctionner.
Il reste que le marché des transports, comme celui des autres activités, est global. S’agissant de l’international bilatéral, il est évident qu’un pays fortement exportateur (excédentaire)  favorise de fait  son pavillon national, et que les pavillons les moins chers prennent naturellement une part de marché importante.  Il y a donc mécaniquement une contagion favorable au cabotage. On retrouve par exemple la Pologne au premier rang européen pour les transports bilatéraux, entre pays tiers et pour le cabotage.  Il est tout aussi évident que les écarts relatifs au coût du travail peuvent pousser certains transporteurs  à solliciter largement le détachement de travailleurs « étrangers », ou user massivement de leurs filiales low-cost étrangères dans les pays les plus chers. Ce qui s’appelle dans l’industrie une délocalisation, prend ici une autre forme, mais sur le fond ce sont les mêmes ressorts qui fonctionnent.  Et puis, n’oublions jamais qu’il y a dans tous les pays, un secteur « artisanal » composé de micro-entreprises échappant à une part non négligeable des contraintes sociales voire fiscales et qu’on peut facilement mobiliser. Souvenons nous de cette époque, où certains pavillons envoyaient essentiellement leurs « tractionnaires » sur l’international.

L’enjeu

L’enjeu actuel est constitué d’à peu près les 2/3 du transport routier de marchandises. Et on comprend donc l’émotion des transporteurs routiers.  Le reste, c’est à dire le transport international bilatéral ou entre pays tiers étant déjà largement perdu.
De nombreux pays concentrent d’ors et déjà comme l’Allemagne, la France, l’Italie ou le Royaume Uni, leur transport routier sur leur  seul marché national (plus de 85 ou 90 %). Mais il saute aux yeux que les Pays d’Europe Centrale et Orientale ont au contraire une plus grande ouverture sur les marchés extérieurs. On en connaît les ressorts.  Changer cet état de fait consisterait à modifier fondamentalement non pas la réalité du cabotage (environ 2% du transport total), mais la concurrence sur le transport international, c’est à dire autour de 35 % du marché. Il faudrait donc s’attaquer aux règles générales qui président à la concurrence intra-européenne – quelque soit le territoire sur lequel s’opère le transport. Poser le problème ainsi amène naturellement à s’interroger : pourquoi le transport (routier, mais pourquoi uniquement routier)  et seulement le transport ?  Que chercher à réguler étant entendu que la plus forte distorsion concerne les niveaux de rémunération réels ?  

Aboutir ou séduire ?

Se donner des objectifs qui n’ont aucune chance d’aboutir (suppression de toutes différences de niveaux de vie dans l’espace européen) n’a aucun sens. A quoi bon ce « blocage », cette crispation autour du cabotage et du détachement et de nouvelles mesures de protection ? Sur le plan symbolique et politique l’impact est évident. Il « satisfait » une demande de protection. Mais pratiquement ? Ceux-là même qui réclament plus de contraintes confessent qu’on ne sait pas contrôler les pratiques, faute de moyens (personnel, techniques) ou de numérisation des données de contrôle.
En revanche il convient de chercher  à diminuer les facteurs de distorsion, tout en ne revenant pas en arrière sur les principes d’unicité du marché européen.  C’est ce qu’on appelle l’harmonisation réglementaire. Or c’est précisément en abordant cette question de manière concrète que les choses deviennent plus complexes et sont,  au sens noble du terme, politiques.
On peut tout d’abord chercher à faire progresser tout ce qui conduit à appliquer de manière identique les règles communes et  sanctionner les infractions de manière uniforme. On pourrait bien sûr aller au-delà, rêver d’un régulateur commun, mais il est plus simple de montrer l’exemple en le faisant, pour commencer, à quelques-uns. Il est en effet improbable que tous s’accordent pour faire de l’harmonisation des sanctions administratives et pénales. En revanche on pourrait parfaitement conditionner la libéralisation totale, pour un pays membre, à son adhésion à cette harmonisation. Mais encore faut-il savoir de quoi on parle. Toute peine relevant du pénal dépend du pouvoir d’appréciation du juge… et donc l’harmonisation des peines n’est jamais celle des pratiques.  Il y faut autre chose, de l’ordre d’une communauté de représentation des règles communes.
On peut discuter à l’infini  de l’harmonisation des temps de travail (ou de service), ce qui nous assure de ne jamais rien harmoniser. On ne compte pas la même chose ni ne le réglemente de la même manière (sans compter les différences de conception du droit du travail que reflètent bien nos débats sur le « code du travail » en France). Au surplus, les travailleurs indépendants ne relèvent pas du droit du travail, mais  en pratique des seuls règlements sur les conditions de conduite et de repos. Il faut donc se donner une contrainte commune, simple à contrôler : l’amplitude de l’activité dans une période de 24 heures. En limitant l’amplitude, on limite concrètement le temps d’activité, mesuré ou on, mesurable ou pas.  Et c’est beaucoup plus simple.
On peut enfin chercher à limiter les distorsions en jouant tout simplement sur la structure des prélèvements obligatoires.  Mais, dans ce cas les pays riches n’harmonisent pas les règles mais modifient les assiettes des taxes pour rétablir de meilleures conditions de concurrence. Par exemple, on peut augmenter la taxation des infrastructures et éventuellement des carburants et baisser d’autant les charges sociales.  On opère ainsi de manière non discriminatoire un rééquilibrage des conditions de concurrence, puisque les coûts d’infrastructures sont prélevés sur tous les véhicules. Mais les effets de ces mesures ne doivent pas être exagérés.
Dans l’état actuel des choses, les postures protectionnistes ont à mon sens bien plus d’inconvénients que d’avantages. Que compte-t-on tirer de la stigmatisation des pays de l’est ?  Qu’espérer concrètement d’une réglementation plus sévère du détachement ou du cabotage ? Bien peu de chose puisque le contrôle est notoirement insuffisant, difficile à opérer et finalement peu efficace.


P.S.

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