Le Pétrole, les #prix des #carburants et la #Corse… suite
- D'une part les résidents sont effectivement à l'origine d'une part essentielle des consommations de carburant dans l'île, même si 700 000 véhicules extérieurs s'y rendent chaque année, et si les touristes en louent quelque milliers. Ils génèrent aussi, par leurs importations, les consommations de carburants des navires transportant le fret. Les choix d'alors, d'imputer les émissions de CO2 comme les coûts au prorata des recettes (ce qui est avantageux pour le Fret), est probablement contestable. Si effectivement l'essentiel de la DSP maritime consiste à acheminer le fret importé (le ratio Import/export est de l'ordre de 16 %), il faudrait lui imputer l'essentiel des consommations de 200 traversées par mois. Un montant qui représente sans doute entre 1/3 et 1/4 de ce qu'on consomme comme carburants dans l'île. Au total, dans une étude sur la vulnérabilité de l'économie corse à un choc pétrolier (elle aussi commandée par la CTC) à laquelle j'ai participé, j'ai pu calculer qu'au début de la décennie, près de 50 % de la consommation de produits pétroliers liés à la "mobilité" intéressant la Corse (résidents et touristes) était due au maritime. Chose intéressante aussi, 75 % des consommations "intérieures" sont dues au résidents, et la même proportion des consommations "extérieures" est due aux touristes.
- D'autre part, en ajoutant toute l'énergie nécessaire pour "assumer" le modèle actuel de développement de la Corse, c'est à dire l'ensemble du Fioul et du Kérosène des bateaux et avions, le carburant routier, le fioul brûlé dans nos centrales du Vazzio et de Lucciana et le gaz importé, on considérait au milieu des années 2000 que 88 % de l'énergie primaire consommée était alors d'origine pétrolière, un chiffre estimé encore à 80 % environ par le SCRAE (Schéma Régional Air Energie) adopté quelques années plus tard.
Avant de rejoindre les studios de RCFM à Ajaccio pour le club de la presse, {Ecouter le Club de la presse RCFM du 25/2/2019}, je me suis rappelé d'une étude réalisée pour l'Ademe et la Collectivité territoriale de Corse il y a 9 ans environ. J'essayais - avec mes partenaires - d'estimer les consommations de carburants et les émissions de CO2 insulaires. J'avais à cette époque, suggéré de traiter le CO2 comme on traite le commerce extérieur (CAF-FOB), pour tout prendre correctement en compte - y compris ce qui est émis dans des zones "internationales" - et sans double compte.
Quelques rappels sur l'énergie
De ces calculs j'ai retenu deux choses.
Pourquoi ces rappels ?
Tout simplement pour mettre en perspective la précarité énergétique de la Corse, et le fait que, pour légitime qu'elle soit, l'interrogation majeure sur les prix insulaires des carburants à la pompe, ne doit pas masquer le problème global de la dépendance de l'île à l'énergie fossile, polluante, dangereuse pour le climat, et théoriquement appelée à coûter de plus en plus cher.
En pratique, nous avons bien d'un côté un niveau élevé de pression fiscale sur le carburant routier (en gros 50 % grâce à une TVA moindre), mais le maritime et l'aérien en sont exemptés, et au surplus l'un et l'autre bénéficient - en partie - des subventions au titre de la continuité territoriale. Et ajoutons à ce tableau, la Contribution au Service Public de l'Electricité qui permet de payer le courant au prix national péréqué. Il faut rappeler ici que le "surcoût" de production électrique dans l'île était estimé à plus de 250 millions € en 2013. Autrement dit, l'économie énergétique insulaire est très globalement aidée à la fois par une péréquation massive et par des subventions aux transports, bénéficiant en partie aux résidents. Je me disais alors qu'ajouter à ces transferts massifs une suppression de TVA (celle-ci n'existant effectivement pas dans les Dom-Tom mais étant suppléée par l'Octroi de mer) avait une utilité qui serait non seulement discutée et peut-être d'un effet faible. Pour autant, il ne faut pas nier ou négliger l'incidence des prix des carburants sur les ménages les moins riches. Celle-ci touche en effet en Corse des personnes sans alternative réelle, au moins à court et moyen termes. Mais peut-on justifier - sur la base de la spécificité insulaire - un traitement fiscal ajoutant à l'avantage de plus de 9 centimes d'aujourd'hui, un second avantage de près de 18, sans questionner plus avant l'origine de l'écart de prix hors taxes et droits ?
Revenons au carburant et à l'écart Corse-Continent
De l'écart en général
Les analyses produites - dont je ne partage pas tous les éléments chiffrés - conduisent à évaluer des coûts liés à l'insularité. Si on regarde les choses simplement il s'agit de décomposer les différents maillons ou facteurs de coût, entre le prix de marché du produit au départ de FOS (cotations), et le prix de vente en Corse. Il s'agit, hors taxes et droits dits d'accise (TICPE), d'expliquer environ 30 centimes de marge "corse" pour un litre de gazole quand l'UFIP indique une marge moyenne en France de 12 à 13 centimes. Rappelons ici que la taxation moindre en Corse permet de diminuer l'incidence de cet écart. (Le rapport d'Ecopa montre, sur le cas des Hautes Pyrénées un écart TTC moyen de 1,5 c€/l sur le gazole pour le réseau hors GMS, obtenu grâce un un moindre pression fiscale de 9,1 c€/l.)
Les éléments fournis conduisent d'une part à imputer une fraction de l'écart aux stations services (pour résumer plus nombreuses, et donc au débit plus faible - sans que je ne retrouve le calcul présenté - que sur le continent), à l'absence de la grande distribution, réputée vendre moins cher, au transport maritime nécessaire, et à la moindre taille de nos dépôts (ce qui est un raccourci un peu rapide).
On trouve des éléments dans le rapport Ecopa remis à la CTC, dans son annexe comparant la Corse aux Hautes Pyrénées (on se demande d'ailleurs pourquoi, la Corse ayant peu de stations en Montagne et les Hautes Pyrénées étant drainée par un axe autoroutier reliant en fait les éléments d'une grande zone urbaine à cheval sur deux régions). On aurait donc 53 % de l'écart qui serait - toujours hors taxes et droits - due au stade de la distribution de détail et de gros, le reste découlant des dépôts et du transport amont.
J'ai des doutes sur cette estimation. En premier lieu parce que je ne retrouve pas les niveaux de marge de gros observés dans les comptes des entreprises dans le calcul d'Ecopa (qui les sous-estime selon moi). En second lieu parce que la marge des détaillants me semble quant à elle sur-estimée. Enfin rien n'est dit des marges situées en amont des dépôts insulaires, ni de la nature ou de la composition des coûts et surcoûts observés. En d'autres termes je ne comprends pas qu'on étudie des chaînes d'approvisionnement sans jeter un oeil au contenu des marges et singulièrement - quand c'est possible - aux bénéfices et dividendes prélevés. Or il n'est un secret pour personne que les compagnies approvisionnant la Corse revendiquent dans leurs rapports annuels une volonté de renforcement de leurs marges, et - pour l'une d'entre-elles (Rubis), une véritable stratégie de niche, les ayant conduit à privilégier les marchés insulaires (Antilles, Réunion, Madagascar...) dont une part non négligeable sont pauvres.
L'évolution de l'écart
Un autre phénomène pousse à s'interroger. C'est celui de l'augmentation de l'écart de prix entre Corse et Continent depuis 10 ans, dans un contexte, où, faut-il le rappeler, les prix français ont eu tendance à se rapprocher- toujours hors taxes et droits d'accises - des prix pratiqués ailleurs en Europe (ils étaient jadis plutôt inférieurs). Ecopa confirme sur ce point l'analyse que j'avais pu faire, l'écart est bien croissant. Comment, à nouveau, expliquer cette évolution ? Les paramètres techniques n'ont en effet guère évolué depuis 10 ans. Il est possible que l'influence des GMS sur les prix de la concurrence a joué sur le continent. Il est vrai aussi que les augmentations de marges du Dépôt pétrolier de la Corse expliquent une part de la hausse, et bénéficie essentiellement aux actionnaires. En effet, les dividendes distribués représentent 33 % du chiffre d'affaires (!) en 2017. Mais de l'autre côté les résultats nets des grossistes semblent relativement stables par rapport à leurs capitaux propres, et ne semblent pas augmenter. Rappelons pour autant qu'ils représentent entre 30 et 43 % de leur valeur ajoutée (qui est faible), ce qui est considérable. Il faut donc aller au delà pour comprendre et discuter les pratiques expliquant l'approfondissement de l'écart entre Corse et Continent.
Autrement dit il faut approfondir, débattre et relier les mesures immédiates à une stratégie d'avenir.
P.S. 26 février 2019