On a perdu notre boîte à outils collective
La crise du Covid19 peut effectivement nous amener à revoir largement nos politiques hospitalières et sanitaires. La critique sera forte, lourde, sans doute partagée entre fatalisme et sévérité.
Mais ce qui me semble encore plus important concerne l’organisation des pouvoirs publics.
Il est temps de redécouvrir la pertinence de pratiques aujourd’hui disparues ou celle de nouvelles approches.
- La nécessité de la planification s’est évanouie. La disparition du Plan en France, après une phase de remise en cause sous la pression des libéraux, nous a fait perdre plusieurs dimensions majeures :
- La capacité d’organiser l’action publique autour d’objectifs prioritaires et dans le cadre d’une programmation (financière mais pas uniquement). Et dans le même temps on nous abreuve de « plans d’urgence » conçus à la hâte pour faire face à l’imprévoyance.
- La réflexion prospective autour de scénarios (donc la prise en compte des risques) a elle aussi été délaissée. Au nom du doute et du caractère non mathématique de l’exercice. Au lieu de quoi on se contentera de vagues tendances, et de l’actualité brûlante.
- Le partage des diagnostic et de l’exercice de planification dans des formations regroupant experts, Etat, et organisations professionnelles (patrons, salariés, etc..) et associatives a largement sombré avec la planification. Certains comités et conseils éclairant les choix - jusqu’aux commissions des comptes - ont perdu leur importance aux yeux des pouvoirs publics.
- L’Etat s’est engagé - et avec lui ses structures territoriales - dans un mouvement de reflux général. L’administration de jadis - à laquelle on reprochait d’être tentaculaire - a perdu nombre de compétences (et d’expériences) dites de terrain, pour être remplacée pour l’essentiel par une haute fonction publique dont la mobilité est élevée, et donc la compétence technique sectorielle et la mémoire limitées. La capacité de « faire » a été remplacée par une capacité à faire faire. Avec une dérive majeure puisqu’on soustraite même l’organisation de la sous-traitance. Concrètement, on ne sait plus bien - sauf probablement et en partie là où il reste essentiellement des forces intégrées (armées, forces de l’ordre, prisons, Justice, ...) - organiser, planifier, ordonnancer l’action de systèmes complexes. Et paradoxalement, on ne réquisitionne pas ceux qui savent.
- L’Etat a perdu l’habitude de penser « globalement » et à moyen-long terme. L’agenda est rythmé par la communication, l’émotion, l’anticipation des effets des mots sur les perceptions, et plus trop sur la contribution des actes à l’exécution cohérente des plans. D’où la tyrannie du court terme et de la com’. Il y a longtemps que l’émotion l’emporte sur la rationalité ou le plan.
Tout ceci conduit selon moi à ce que notre société a perdu sa boîte à outils collective, en même temps que ses capacités managériales. Au fur et à mesure les crises nous le montrent, hélas.
Or, non seulement nous avons perdu beaucoup, mais tirons un maigre parti des nouvelles possibilités. La pauvreté des données localisées libres d’accès, la faible transparence laissent de côté les moyens nouveaux que pourraient apporter la masse sans précédent d’informations geo-localisées.
Au surplus, on sent bien que ne pas avoir d’instrument fédéral de politique sanitaire en Europe, et souffrir d’une telle faiblesse stratégique aux niveaux nationaux et territoriaux est préjudiciable. Il faudra ne pas l’oublier « après ». Il y a toujours un après.
P.S.